— Je refuse, craché-je sèchement à l’entente des propos déjantés de ma tante.

Elle perd complètement la tête, c’est certain. Comment peut-elle me donner à un agent de police, sérieusement ? Surtout qu’elle sait parfaitement que mon comportement n’est pas vraiment exemplaire. C’est sûr que si je reste avec cette soi-disant lieutenante Hopkins ; dans moins de deux semaines, je vais terminer en taule à compter les barreaux de ma cellule. Thalia se lève, manifestement irritée par mon manque de tact.

— Ce n’est pas à toi de choisir ! Il est question de vie ou de mort, tu te rends compte ? Merde à la fin ! crie-t-elle.

Habituellement, Thalia ne dit pas des mots grossiers… En fait, elle n’en a jamais parlé. C’est bel et bien la première fois. Et croyez-moi, je la connais depuis suffisamment longtemps pour le savoir. Ça m’étonne énormément d’elle. Je suppose que la situation est vraiment grave pour qu’elle soit dans l’obligeance d’utiliser des termes dont elle juge souvent de vulgaires et inappropriés.

— Un assassin est à ta recherche ! continue Thalia en essayant de garder son sang-froid.

Je m’immobilise, comme si mon corps se retrouvait entièrement paralysé. Mon cœur rate un bond, tandis que je tente de dissimuler mon état de stupeur. Honnêtement, je ne sais pas comment réagir face à ça. De la peur, de l’angoisse, de la curiosité, de la colère, ou de la confusion ? Je l’ignore. Un flot de questions me tourmente l’esprit. Plus les secondes passent, plus mes doutes se transforment en conviction. Même si cela n’est pas officialisé ; mon instinct me dit que le meurtrier souhaitant ma mort n’est autre que l’assassin des neuf boxeurs, dont Roy et Dean.

— Je vais me rendre dans la voiture pour vous laisser discuter seul à seul. Donc, si jamais tu changes d’avis… dit Mme Hopkins en s’adressant à moi.

D’un air méprisant, je la dévisage longuement avant de me concentrer davantage sur ma tante.

— C’est gentil à vous, sourit Thalia.

Suite à ça, la lieutenante quitte la demeure. Lorsque l’on entend la porte d’entrée se claquer contre le vantail, je m’assois sur l’une des chaises. Cette soirée risque d’être longue… Un raclement de gorge retentit dans le but d’attirer mon attention.

— J’ai déjà préparé tes affaires, elles sont dans le salon. Tu n’as plus qu’à partir, souffle ma tante en faisant preuve de sérieux.

Nous cohabitons ensemble depuis près de huit ans. Et c’est de cette manière qu’elle me demande de partir. Ça me fait presque rire. Toutes ces années en sa compagnie pour qu’elle se débarrasse de moi ainsi… Pathétique. Je sais que je ne suis pas son vrai fils, mais quand même.

— Il est hors de question que je vis chez une putain de flic, rétorqué-je en serrant les poings. Je suis grand, maintenant. Ce n’est pas à toi de décider de ma vie.

Thalia souffle bruyamment à l’entente de mes mots et s’assit face à moi.

— Toi, alors… grogne-t-elle. Qu’est-ce que tu ne comprends pas dans le fait qu’une personne malveillante te cherche, pour mettre fin à tes jours ? L’officière Hopkins est chargée de te protéger. D’une part, car tu es un boxeur. Et d’autre part, car tu as été témoin de l’un des meurtres. Celui de Melvin, non ?

— Marvin. Son nom est Marvin, soupiré-je en roulant des yeux. Et puis, ce n’est pas comme si j’ai assisté à l’assassinat, hein. J’ai juste entendu des cris.

— Peu importe, tu restes tout de même un témoin. Ils ont mis en place un programme de protection pour des gens comme toi ! Tu es l’une des cibles à abattre de ce tueur, ce n’est pas quelque chose de négligeable… Tu iras avec Mme Hopkins : le temps que les services fédéraux retrouvent l’auteur de tous ces horribles crimes.

— Je sais me défendre, Lia.

— Ce n’est pas de ça qu’il est question, Devon ! Je sais que tu peux te défendre, mais je préfère te savoir en sécurité.

Des larmes coulent le long de ses joues empourprées. Putain… Il ne manquait plus que ça. Je déteste quand elle se met à pleurer. C’est son arme secrète, et ça marche à tous les coups. Fais chier.

— Si je reste avec une flic, c’est la prison assurée. Tu sais que je ne supporte pas ces merdeux de policiers.

— Fais un effort, je t’en prie… Ça ne durera pas longtemps ! La lieutenante Hopkins est une femme charmante et attentionnée. Et puis, sache que c’est mal de juger une personne sans la connaître, annonce-t-elle d’un ton convaincant.

Mes yeux convergent vers ses iris brillants par les pleurs. Et pour l’énième fois : je soupire. La mélancolie que j’éprouve à cet instant est intense et constante. Un sentiment d’amertume s’empare de moi à l’idée que je m’apprête à céder.

— Je ne veux pas te perdre, marmonne-t-elle doucement. Après la mort de tes parents, je me suis faite le serment que je ferais tout mon possible pour te garder en vie… Alors, s’il te plait, Devon. Accepte l’aide de cette dame.

Je ne dis rien, tant ses mots me bouleversent. Bien que sa réplique ne me laisse pas indifférent, mon visage reste neutre.

— Fais le pour moi, et tes parents.

Je contracte ma mâchoire, et fini par me lever de mon siège. Thalia me suit des yeux, tout en fronçant ses sourcils, dévoilant ainsi ses rides marquées.

— D’accord. J’accepte, lancé-je. Maintenant, arrête de chialer, c’est agaçant.

Elle rit légèrement tandis que je me dirige dans le salon pour prendre possession de mes affaires. Deux valises se situent près du canapé. D’un geste ferme, je saisis les poignets, sous le regard attentif de Thalia.

— Je continuerais mes combats du soir, si c’est ce que tu veux savoir. Comme ça, je t’enverrais de la tune chaque semaine, dis-je en m’avançant vers la porte d’entrée étant préalablement ouverte.

Elle se contente de sourire en s’appuyant contre l’embrasure de la porte du salon. J’hésite à franchir un pas. C’est comme si une force imaginaire m’en empêchait.

— Et n’ouvre à personne ! Si quelqu’un te cherche la merde, appelle-moi pour que je lui casse la gueule. Je suis sérieux ! déclaré-je en me tournant vers elle.

Toujours la même expression. Elle sourit.

— Ah oui ! J’oubliais ; je viendrais te voir au moins une fois par semaine, poursuivis-je.

C’est sûr ces mots que je prends mon courage à deux mains pour partir de cette demeure – qui me manquera, j’en suis sûr. Alors que je me tiens à quelque mètre de la porte, je peux entendre un murmure provenant de Thalia :

— Merci, Devon.

Je n’y prête pas attention, et m’avance vers la voiture noire garée à côté de ma bécane. Étant donné que la vitre est ouverte, je parviens à voir la lieutenante Hopkins au téléphone. Et manifestement, sa conversation ressemble plus à un monologue qu’à un dialogue.

— Pearl, décroche ! Allez… Oh, Devon. Vous êtes là, dit-elle en sursautant légèrement.

— Ouais, je suis là.

— Je vais vous aider à mettre vos valises dans l’automobile ! affirme-t-elle en sortant rapidement de la voiture.

En un temps record, elle se retrouve à l’arrière du véhicule, et ouvre brusquement le coffre. Avec un enthousiasme qui me surprend presque, elle range mes valises, sourire aux lèvres. Cette femme est vraiment louche, ew. Trop de joie de vivre dans un si petit corps.

— Vous pouvez vous installer dans la voiture, propose-t-elle gentiment.

— Nan, j’y vais avec ma moto. Je n’ai pas envie de rester avec vous.

Au moins, ça a le mérite d’être clair. Ma remarque a eu un impact immédiat sur sa bonne humeur, à ce que je vois. Je me fais violence de ne pas rire face à la rapidité de la décomposition de son visage. C’est amusant.

— Très bien, euh… Dans ce cas, vous n’aurez qu’à me suivre. Ma maison est à environ une heure d’ici.

J’acquiesce, avant de monter sur ma moto.

✽✽✽

Nous sommes arrivés à destination. Contrairement à l’habitation de Thalia, celle de l’agent Hopkins est immense ! Bon, faut avouer que la maison de ma tante n’est pas très grande non-plus… Mais le contraste entre ces deux demeures reste aberrant. Rien qu’en voyant le quartier et la façade de cette baraque, j’arrive à deviner que l’intérieur est convivial et chaleureux. Je descends de ma moto en examinant davantage les alentours. Juste wow. Je ne savais pas que les policiers pouvaient être autant riches ! La pelouse est propre , les pots de fleurs sont arrosés, les arbres sont dénudés, et le paillasson est d’un ringard, mais reste tout de même accueillant.

— Soyez discret, s’il vous plaît. Ma fille est en train de dormir étant donné qu’elle a école demain, chuchote Mme Hopkins

— Vous avez une fille ? dis-je, étonné.

— Oui ! Son nom est Pearl, lance-t-elle avec enthousiasme. Et elle est toute mignonne, c’est triste de voir à quelle rapidité son bébé grandit… Je n’ai même pas pu profiter des moments lorsqu’elle n’était encore qu’un fœtus ! Mais bon, elle reste toutefois ma petite protégée, hein.

D’accord… J’ai juste demandé si elle avait réellement une gamine parce qu’elle me semble jeune, et non pas la notion du temps dans le cycle de la croissance d’un être humain. Un soupir s’échappe de mes lèvres. L’idée de devoir cohabiter avec cette mère beaucoup trop joyeuse à mon goût, et son gosse qui doit avoir à peine cinq ans, ne me réjouit pas vraiment. Mais alors, pas du tout ! Vivement que l’enfoiré désirant ma mort crève pour que je parte d’ici. J’en ai déjà marre, ugh.

— Votre chambre est à l’étage, à votre droite. Si vous avez un quelconque désagrément, je me trouve dans la pièce à proximité des escaliers du bas.

Je hoche positivement la tête en signe d’approbation, et entre dans la demeure. Un doux parfum me parvient jusqu’à mes narines. C’est plutôt plaisant, je dois l’avouer. Valise en main, je monte difficilement les marches de l’escalier. Lorsque je me trouve à l’étage, un problème s’oppose à moi. Deux portes se trouvent à ma droite. Et j’ai ni la motivation, ni la force de descendre en bas pour demander de l’aide.

Quand il faut y aller, il faut y aller ! Je pose mes valises, et m’oriente vers l’une des portes blanches. D’un geste brusque, je fais irruption dans la pièce. Personne n’est là. Oh, dommage. Ça aurait été amusant d’emmerder le môme de Mme Hopkins. Enfin, bref. Malgré la décoration plutôt sympathique de la chambre, je ne prends pas le temps de l’examiner davantage. Je place mes bagages dans un coin, et ferme la porte. Par la suite, j’enlève mon haut avant de m’effondrer brutalement sur le lit ayant un matelas extrêmement moelleux. Ouuh, génial. Instinctivement, mes paupières tombent. Et je succombe à un sommeil profond.

C’est ce soir-là que tout a commencé.