CHAPITRE 37
Bordel.
Je ne cherche pas à soutirer davantage d’informations, et monte directement sur ma moto, sous l’incompréhension de tous.
Il faut que je m’en aille, et vite – avant qu’il ne soit trop tard. Désormais, ce n’est plus qu’une question de temps.
— Où est-ce que tu vas ? me demande Pearl en se mettant face à moi pour que je ne puisse pas être en mesure de démarrer ma bécane pour me casser de là.
— Chez ma tante. Décale-toi s’te plait, lâché-je avec impatience.
Évidemment, elle remarque que mon comportement est louche ainsi qu’extrêmement suspect. À la base, on était supposés partir ensemble : du coup, ce changement brusque de plan lui paraît plutôt étrange.
Avec instance, elle me regarde. De ce fait, je n’ai pas d’autre choix que de céder, car sinon, je ne pourrais pas me barrer d’ici avant un moment :
— Mon salopard d’oncle est revenu en ville. Et, là maintenant, il est dans la baraque de Thalia.
— Je viens avec toi, s’empresse-t-elle de dire en s’avançant à l’arrière de ma bécane pour s’y installer.
— Nous aussi ! lance Chace avec l’approbation de Wade.
— Non, vous restez là. Un point c’est tout, ordonné-je en faisant preuve d’un sérieux presque sidérant. Prends un casque, poursuivis-je en m’adressant à Pearl.
Étant donné que je ne suis pas d’humeur à rire, Chace se contente de rouler des yeux à l’entente de mes mots, et finalement, il se rasseoir par terre afin de montrer qu’il ne compte pas déjouer mes interdictions.
Tant mieux.
J’allume le moteur de ma moto, sous l’angoisse de Pearl, et commence à m’aventurer vers les routes obscures légèrement éclairées par des lampadaires médiocres.
— Accroche-toi, lui dis-je alors que la vitesse de mon véhicule dépasse largement le Code de la route.
Ses bras ne s’attardent pas à entourer fermement mon torse. Au même moment, sa tête se pose contre mon dos.
De toute évidence, elle n’apprécie pas les virés en moto – elle est littéralement en train de me griffer ! J’oublie son anxiété et augmente la vitesse : le vent s’abat sur nous. Et elle commence à frémir.
Je tente de me concentrer : même si sur le coup, ça me semble impossible.
Ma conscience me pousse à me focaliser sur les feux rouges, toutefois, ma raison est figée sur Caden, mon satané oncle.
— Il faut que tu ralentisses, murmure-t-elle en continuant de me tenir de toutes ses forces.
Je contracte ma mâchoire. Et ne réponds pas. Les ruelles défilent, les battements de mon cœur s’amplifient, et les murmures de Pearl se multiplient.
Bien que j’ai pleinement conscience des risques, mon corps refuse de m’arrêter ou encore, de ralentir. Mes pulsions sont plus fortes que moi. Je ne contrôle plus rien. Seule la rage vis-à-vis de Caden parvient à me guider. Et c’est mauvais signe.
— Devon ! vocifère-t-elle. DEVON !
Mes poings pressent tellement le guidon que mes jointures deviennent pâles, et lorsque je tourne à droite à cause du rond-point, pour la deuxième fois de la soirée, on frôle la mort. Putain. Je ne suis plus maître de moi-même.
Le son des gyrophares retentit : cette mélodie que je connais un peu trop bien.
Pearl perd son sang-froid et me demande de m’arrêter : cependant, je ne le fais pas.
Je ne peux pas laisser Thalia face à Caden. C’est impensable. Je tente de fuir les flics en m’engageant dans des ruelles étroites. Et c’est seulement au bout d’une vingtaine de minutes que j’arrive définitivement à les semer. Pearl chuchote quelques mots, me serre, encore plus que précédemment, et je me ressaisis. Merde. Qu’est-ce que je fous ?
— Je suis désolé… soufflé-je doucement en ralentissant. Tellement désolé.
Je respire difficilement, et sans que je m’y attende, des larmes viennent s’étendre le long de mes joues.
Néanmoins, je les essuie immédiatement lorsque je m’arrête au feu rouge. Quand on arrive à destination, Pearl descend brusquement du véhicule et me fixe avec un air de tristesse. Après tout, de ma faute, nous avons failli mourir. Et c’est que maintenant que je le réalise.
Si cette virée avait dégénéré, c’est sûr que ma vie n’aurait plus aucun sens. Avant ce soir, je n’avais jamais songé à perdre Pearl. Pour toujours.
Ça ne m’était jamais traversé la tête, pas même une fois. Et quand j’y pense, je me sens tellement pathétique. Cette fille est tout pour moi : et je l’ai mise en danger. Putain. C’est impardonnable, pas vrai ?
Je suis un véritable connard. Et quoique que je fasse, quoi que je dise : je le suis toujours.
Quand je suis avec elle, je n’ai pas l’impression d’agir comme l’enfoiré que je suis, mais comme un gars normal. Et il a fallu que je gâche tout. Comme d’habitude.
Avec hésitation, je m’avance vers Pearl en redoutant sa réaction :
— Mais, qu’est-ce que tu t’imaginais, bon sang ? T’es complètement malade de rouler comme ça ! me réprimande-t-elle en passant ses mains dans ses cheveux.
— Je suis– commencé-je à dire, mais elle me coupe dans mon élan.
— Arrête de t’excuser !
Elle s’approche de moi, et d’une manière inattendue, elle prend son visage entre ses mains et me sourit faiblement. J’écarquille les yeux. Qu’est-ce que… ? Je reste immobile.
Je pensais réellement qu’elle serait énervée par mon manque de prudence, et pourtant, ce n’est pas le cas. D’un revers du pouce, elle essuie délicatement mes récents pleurs.
— Promets-moi que ça n’arrivera plus, me dit-elle en plongeant son regard dans le mien.
— Je te le promets.
Alors que je m’apprête à l’embrasser, une voix masculine m’interrompt :
— Oh, mais qui est-ce ? Devon, mon garçon ! Ça faisait longtemps.
Mon sang afflux à un même point dès lors où le timbre de sa voix résonne dans ma tête. Il est là, au pas de la porte, avec un sourire narquois. Cette vision me rend vulnérable.
Il n’a pas changé : il est toujours aussi grand, sûr de lui, et charismatique.
Ses cheveux bruns sont plus courts que dans mes souvenirs, toutefois, ses yeux marron restent les mêmes : à chaque fois que je les vois, à mon plus grand malheur, je ne peux pas m’empêcher de penser à mon père.
Ils sont exactement pareils.
Du moins, à un détail près, mon paternel était un homme bien – enfin, en dépit de son mauvais caractère – alors que Caden, lui, n’est qu’un misérable alcoolique violent.
— Où est Thalia ? demandé-je en hurlant presque.
Je me place devant Pearl pour qu’il ne puisse pas s’en prendre à elle.
— Pourquoi tu te préoccupes toujours de cette garce ? souffle-t-il en buvant une gorgée de sa boisson.
Aussitôt, je serre les poings en jurant dans ma barbe.
Ce type m’énerve tellement avec ses paroles à la noix. J’aimerais tellement lui foutre une baffe en pleine gueule : mais, je ne peux pas… Je n’en serais pas capable.
Malheureusement. Il sait mon point faible. Et il en profite pour s’en prendre physiquement Thalia – sans que je puisse la défendre.
— Dégage de cette maison, Caden, ou je te jure que–
— Bah voyons, que vas-tu faire ?
Je me crispe. Merde.
Étant donné qu’il sait que je ne peux pas poser la main sur lui, c’est certain que je vais morfler. Si seulement mon père n’avait pas de jumeau ! Caden s’oriente vers moi, et presque automatiquement, mon stress augmente en flèche.
— Répond à ma question, Devon. Que vas-tu faire ?
Aucun mot ne sort de ma bouche. Par conséquent, il prend plaisir à me donner un violent coup de phalanges au niveau de mon abdomen. Je demeure neutre, jusqu’à ce qu’il recommence. À contrecœur, je me tords de douleur. Au même moment, Mini-Hopkins lâche un cri de surprise.
— Pearl, s’il te plait, va-t’en… rétorqué-je pour éviter qu’elle assiste à la scène qui va suivre.
Je ne veux pas qu’elle me voie jonché par terre, ensanglanté, sous les coups de mon oncle. Oh, ça, non. Je préfère nettement plus qu’elle parte.
Caden enchaîne ses torgnoles et finit par m’infliger une frappe avec son pied dans mes parties intimes. Je m’effondre sur mes genoux, et Pearl se précipite vers moi, avant de me demander :
— Pourquoi tu ne te défends pas ?
— Je ne peux pas… lui répondis-je faiblement.
Elle fronce les sourcils, et je déclare, de façon à peine audible :
— Il me rappelle mon père.
— Dit donc, Devon. Où sont tes bonnes manières ? Présente-moi cette jolie fille, annonce Caden et je le fusille immédiatement.
— Tu n’as même pas intérêt à la toucher !
— Mais, oui. C’est ça, rie-il tandis que j’essaye de me lever.
Pearl se met devant moi, et instinctivement, mon oncle me jette un regard qui en dit long sur ses intentions.
Bien que je sache que Mini-Hopkins sait parfaitement se battre, je ne peux pas m’empêcher d’être inquiet.
Je n’ai pas envie qu’elle soit rattachée à mes problèmes : car, d’une manière ou d’une autre, c’est un cercle vicieux. Elle pourrait avoir plein d’ennuis à cause de moi : à commencer par Caden.
— Tu n’as pas honte de te faire protéger par ta propre petite copine ? dit-il en riant de plus belle. À ce que je vois, Thalia t’a mal éduqué ! Franchement, c’est–
— Fermez votre gueule.
— Pardon ? rouspète-t-il, abasourdi. Répète ce que tu viens de dire, salope.
Et là, BAM ! Il ne s’attendait pas à ça.
Elle l’assène d’une multitude de coups, brise son bras, et écrase son visage avec la pointe de sa chaussure : en bref, il est en train de souffrir.
Pearl ne s’arrête pas, au contraire, ses attrapes viennent tout juste d’augmenter en puissance. Son regard est aussi noir que l’ébène, et je suis prêt à parier qu’elle s’imagine Thalesi face à elle pour être autant énervée.
— JE NE SUIS PAS UNE SALOPE ! gueule-t-elle avec rage.
— Mais, comment ça s’fait que tu saches te battre ? s’écrie Caden, complètement confus.
En guise de réponse, elle frappe brutalement au centre de son visage : et d’après l’expression faciale de mon oncle, elle vient de briser son nez. Outch.
Même si ce n’est pas désagréable de voir la défaite de Caden, je décide d’arrêter Pearl pour éviter qu’elle commette un meurtre.
Je la serre contre moi, et en vue de son souffle haletant, elle est encore secouée.
Je n’aurais jamais dû la laisser me défendre : même si elle sait merveilleusement bien se battre, elle n’en reste pas moins mentalement fragile.
Pearl n’aime pas faire du mal aux gens – et c’est assez dommage, car elle a un véritable don pour le combat.
Il suffit de la voir.
Ses gestes sont précis et mortels, et à chaque coup, elle propulse suffisamment de forces pour vaincre les plus grands bagarreurs. Ce n’est pas pour rien qu’elle a été élue Favorite dans son Agence.
— Je suis là, shht, chuchoté-je à l’entente de ses sanglots. Ne pleure pas…
Elle lève la tête vers moi, et c’est à cet instant que je peux apercevoir ses yeux embués.
— J’ai… J’ai failli tuer deux personnes, aujourd’hui.
Forcément, elle doit se sentir comme un monstre.
Retirer la vie d’une personne, pour elle, c’est immonde. Cependant, parfois, c’est nécessaire.
Pearl ne connait pas l’autre partie de la réalité – là où les gens se battent pour avoir un présent, un avenir. Elle ne se doute pas de cette lutte constante et acharnée.
Tout ce qu’elle sait, c’est que la vie est difficile. Mais, elle ne sait pas à quel point.
J’ai déjà été dans une situation comme la sienne : celle où je me dis que j’étais proche d’être un meurtrier.
Et j’ai été tellement de fois confronté à ce sentiment de culpabilité que c’est devenu mon quotidien.
— Bienvenue dans mon monde, chuchoté-je simplement.