CHAPITRE 36
Lorsque ses yeux marron, presque noirs, se dirigent vers moi : instinctivement, je parviens à déceler une profonde haine mêlée à de la colère.
Une chose est sûre : il veut me tuer.
Toutefois, étant donné qu’il est actuellement escorté par un tas de mecs baraqués, ce salaud ne peut évidemment pas s’en prendre à moi. Et franchement, c’est purement magique ! Je peux lui faire un doigt d’honneur, là, maintenant, et il serait incapable de se défendre. Cet assaut de pouvoir m’amuse tellement ! Et puis–
Oh, mince. Vous devez certainement vous demander qui est ce fameux tueur en série, pas vrai ? Eh bien, aussi étonnant soit-il : vous le connaissez ! Eh oui, vous m’avez correctement entendu. Ce putain d’enfoiré m’avait déjà rencontré, et vous étiez là… Enfin, vous n’étiez pas physiquement là, mais bon, peu importe. Vous m’avez compris !
Où en étais-je déjà ? Ah oui ! Le tueur.
Alors, en fait, son nom est Dwayne – du moins, si mes souvenirs ne me font pas défaut.
Et il était présent lorsque j’étais en taule pendant près de deux heures. Mais, si, vous devez sûrement vous en rappeler ! Lui et moi avions joué au jeu du regard… Ça y est ? Votre Alzheimer précoce s’est atténué ? Bien. Nous pouvons poursuivre dans ce cas.
À l’aide de son mythique marteau, le magistrat tape trois fois contre une surface en bois et commence à parler. Dès lors où il ouvre sa bouche, mon ennuie apparaît.
Avec sa voix monotone et excessivement terne, je ne peux pas m’empêcher de lâcher quelques soupirs déplacés et de rouler des yeux.
Forcément, mon attitude ne plaît pas à tout le monde. Mais, ça, je m’en fiche. Maintenant que je sais qui est le coupable dans l’assassinat des dix boxeurs, dont mon cher Ashton, mon stress a soudainement disparu.
Je m’attendais à une personne plus charismatique, plus terrifiante, et plus féroce…
Cependant, il s’avère que je m’étais trompé sur toute la ligne.
Il n’est qu’un misérable gars avec des idées de sociopathes.
Enfin, bref.
Je vous épargne tous les détails inutiles de ce procès pour vous téléporter directement à quelque chose de nettement plus intéressant et exaltant : mes combats de nuits.
Désormais, les problèmes de meurtres ne sont plus qu’un lointain souvenir, puisqu’à présent, tout est entré dans l’ordre.
Je passe la majeure partie de mon temps dans des matchs de boxe, dans des courses de voitures, ou encore dans des fêtes organisées par Chace : entre autres, rien n’a changé.
Je suis toujours aussi cruel. Peut-être bien plus qu’avant. À vous d’en juger.
— ET LE VAINQUEUR EST DEVON ! dit l’abrite en levant mon bras droit.
Comme d’habitude, le public est euphorique. Les gens dansent, crient, et récoltent les dollars investis dans des paris clandestins. La musique augmente en tonalité jusqu’à en devenir assourdissante, de ce fait, je m’empresse de partir hors du ring. Il me faut de l’air, et vite. Toutefois, avant de me rendre à l’extérieur, je prends soin de m’orienter vers Jared afin de récupérer mon tee-shirt.
Même si l’hiver est passé depuis plus de deux mois, ce n’est pas pour autant que je vais me promener torse nu à l’extérieur ! Oh, ça. Pas question !
Je tiens à rester en bonne santé : et à ne pas attirer les foudres de Thalia – si jamais elle découvre que je suis encore tombé malade.
— Tu vas fumer une clope ? demande Wade en buvant tranquillement une gorgée de sa boisson.
Je hoche négativement de la tête, et lui dit, doucement :
— Non. J’ai arrêté.
À l’entente de cette nouvelle, les gars sont tous sous le choc – à part Wade, bien entendu.
Je me contente de les ignorer et d’enfiler tranquillement mon haut suivit de ma veste en cuir. Et c’est en négligeant les interpellations d’Aaron que je m’oriente à l’extérieur du hangar : là où je pourrais tranquillement me reposer.
Par chance, je n’ai pas à user de ma force pour me frayer un chemin dans la foule. Les personnes s’écartent, me regardent attentivement, et contemplent ma beauté ensorcelante.
Plusieurs filles gloussent à mon passage, et lorsque je me tiens près de la porte, l’une d’entre elles se décide à passer à l’action. En effet, elle se plante là, devant moi, avec un sourire enjôleur.
— J’ai entendu dire que tu n’étais plus avec Kendall… lâche-t-elle en prenant une voix de connasse.
— Et alors ?
Elle s’approche de moi, sous le regard curieux de tous, et se met à la pointe des pieds pour atteindre mon oreille. Cette promiscuité est proche du harcèlement. Elle cherche à me séduire avec son souffle chaud contre mon cou, ses mains sur mes bras, ses hanches sur les miennes : néanmoins, l’effet est inexistant.
En fin de compte, il se trouve que j’ai changé sur un point :
un seul et unique.
— Toujours à se faire draguer ! Mais, t’es un aimant à fille ou quoi ? s’exclame une personne que je reconnaîtrais entre milles.
— À c’qu’il paraît, ouais, rié-je en poussant grossièrement la pétasse.
Alors que je me dirige vers ma Pearl pour poser mon bras au-dessus de ses épaules, l’aguicheuse ouvre sa bouche :
— C’est qui, elle ?
— Ma petite-amie, répondis-je sereinement avant de remarquer que Mini-Hopkins est en train de la fusiller du regard. Et si tu ne dégages pas dans deux minutes, elle va te défoncer la gueule !
Rapidement, en voyant que mes menaces ne sont pas fondées sur des mensonges, la blondasse s’éloigne de nous, visiblement frustrée de s’être fait rejeter devant tout le monde.
Je converge mon champ de vision sur la brunette en découvrant que ses traits sont toujours tirés par l’agacement.
— Alors, ta sortie bowling avec ton père ?
— Catastrophique, me dit-elle simplement lorsque l’on sort du hangar.
Le vent glacial s’abat sur moi : mais, je n’y prends pas attention.
À force, mon système immunitaire est parvenu à façonner une protection infaillible contre ce froid presque polaire.
Pearl s’empresse de frotter ses paumes entre elles, pendant que je me contente de la fixer avec incompréhension.
— Hein ? lancé-je en fronçant les sourcils. Comment ça ?
Ses gestes sont maladroits et réticents : et venant d’elle, ça ne présage rien de bon.
Ma mauvaise intuition s’agrandit davantage lorsqu’elle se met à fouiller énergiquement son sac afin d’en sortir un sachet garni d’une multitude d’ailes de poulet frit. Elle n’est quand même pas sérieuse, si ?
— Qu’est-ce que tu fous avec ces trucs ? demandé-je, abasourdi.
— J’ai faim, ronchonne-t-elle comme si cela sonne comme une évidence.
Décidément, cette fille n’est pas normale. Dès qu’elle est contrariée, d’une manière quasi automatique, elle commence à s’empiffrer de poulets. Et ce, encore et encore.
C’est scientifiquement impossible de manger autant en gardant un ventre aussi plat ! Ceci est totalement contre les lois de la nature – un peu comme les merdes de Pacco !
— Donne-moi ça, grommelé-je en prenant brutalement son sachet des mains.
Elle est scandalisée par mon acte, si bien que ses yeux semblent sur le point de sortir de leur orbite.
La connaissant, Pearl va inévitablement vouloir reprendre son poulet en utilisant la force. Et c’est pour cette raison que je place en élévation le sachet, de sorte qu’elle ne puisse pas s’en accaparer.
— Devon ! Passe-moi ça tout de suite, ordonne-t-elle en sautillant pour récupérer son bien.
— Je te le rends à condition que tu me dises ce qu’il s’est passé au Bowling.
Elle grogne, visiblement en rogne.
— Tu peux toujours rêver !
Oh, elle veut jouer à ça…
Sans qu’elle s’y attende, je m’éloigne d’elle pour monter sur un rocher. De la manière suivante, elle ne peut pas m’atteindre directement.
Je me dépêche d’ouvrir le sac en plastique pour saisir soudainement une aile de poulet, sous son regard menaçant.
Mini-Hopkins me fait signe d’arrêter lorsqu’elle se rend pleinement compte de mes intentions : jeter par terre sa précieuse volaille.
— NON ! N’y pense même pas !
— Allez. Raconte, l’incité-je avec un sourire narquois sur les lèvres.
Elle roule les yeux, soupire bruyamment et dit :
— J’ai découvert que Keegan et Thalesi sont ensemble. Voilà. T’es content ? cède-t-elle avant de monter sur le rocher pour attraper sa nourriture.
Oh, merde ! Je ne l’ai même pas vu venir. Maudits soient ses techniques d’agent secret ! J’ai beau être attentif et prudent, je n’arrive aucunement à rivaliser avec sa rapidité.
— Et ensuite ? rétorqué-je en descendant du rocher pour pouvoir m’orienter vers le mur afin de m’y adosser.
— Rien d’important, renchérit-elle en entamant une bouchée de son poulet.
Même si elle passe le plus claire de son temps à dissimuler sa véritable identité à travers des mensonges, Pearl ne sait pas mentir – ou du moins, ses tactiques de corruption ne fonctionnent pas avec moi.
Je sais qu’elle me cache quelque chose. Et naturellement, je ne suis pas près de lâcher l’affaire.
— Où est Thalesi ?
Ma question est si inattendue qu’elle me sursaute légèrement. Pile dans le mille !
Elle souffle profondément, avant de répondre calmement :
— À l’hôpital…
Bizarrement, je ne suis même pas surpris. De toute façon, ces deux-là ne s’entendent pas du tout, alors ce jour devait forcément arriver.
— Elle s’est mise à parler de Blake… Et je ne l’ai pas supporté. Heureusement que Klaus et Keegan étaient là pour m’arrêter.
Sa voix est à peine audible. Son malaise est simplement dû au fait qu’elle déteste raconter ses exploits physiques – autrement dit, l’exacte opposée de moi.
Même si je suis persuadé qu’elle a foutu une sacrée raclée à cette Thalesi, Pearl se contente de faire profil bas.
C’est pour ça que je décide de changer de sujet :
— Hé, partage !
Elle arque un sourcil à l’entente de mes mots, et lorsqu’elle voit que j’observe son sachet de poulet, elle comprend instinctivement mes sous-entendus.
À mon plus grand étonnement, elle jette la carcasse de son poulet et enfouit son sachet encore plein dans son sac. Attendez, elle se fiche de moi, là ?
— Ne t’avise pas de toucher à mes poulets magiques ! fit-elle en riant avant de s’avancer dangereusement vers moi. (Cette fois-ci, je suis bien plus rapide qu’elle, puisque je parviens à la serrer contre moi. Je souris, signe de triomphe, quand sa tête se tient sous mon aisselle.) Tu pues la transpiration ! AH ! s’écrit-elle en essayant de me repousser.
— Justement, c’est ça qui est marrant ! déclaré-je avec un air enfantin.
Quand elle arrive à se détacher de moi, cette dernière fait mine d’étouffer, tant l’odeur de ma sueur est écœurante :
— Oh, allez. Viens me faire un câlin, bébé ! Je pensais que tu adorais ça, lui dis-je et elle me fusille du regard.
— J’ai envie de te tuer, sérieux.
— Ouais, mais tu ne vas pas le faire.
— Ah oui ? Et comment tu peux en être si sûre ? braille-t-elle en plaçant ses mains devant elle pour s’assurer que je sois suffisamment loin de ses narines.
— Parce que je sais que tu m’aimes, Mini-Hopkins, et tu ne peux évidemment pas tuer l’homme de ta vie. N’est-ce pas ? affirmé-je simplement.
— C’est c’qu’on verra, lance-t-elle avant d’être également amusée par la tournure de la situation.
Alors que je m’apprête à prendre la parole, une personne vient tout gâcher en débarquant dans cet endroit habituellement désertique. Il s’agit d’Aaron. Mais, qu’est-ce qu’il veut, encore ?
— Mec, tu dois absolument voir ça !
— Voir quoi ? grogné-je, sèchement.
— Tu le découvriras de tes propres yeux…
Il ne finit pas sa phrase, et se précipite à l’intérieur du hangar, sous ma confusion la plus totale. Avec Pearl, on se regarde un instant, avant de choisir par suivre Aaron, à nos risques et périls. Dans le but de ne pas la perdre, j’entrelace mes doigts avec les siens, et vérifie fréquemment qu’elle est toujours derrière moi.
Ici, c’est facile de s’égarer. Des gens : il y en a partout. Et surtout, ils ne font que de s’exciter pour rien. Ça en est éreintant !
— Devon, regarde là-bas ! me prévient Pearl en désignant la foule de personnes s’étant rassemblés autour de deux individus.
Tarek et Calvin.
Mais, qu’est-ce qu’ils foutent là, ces putains de bâtards ? Je murmure intérieurement des jurons en maudissant Aaron. Alors, il parlait de ça ? Bordel. Mais, je n’en ai strictement rien à faire. Ça m’est complètement égal que ces deux trous du cul soient en train de battre à mort ! Pourquoi m’avoir appelé, sérieusement ?
— Il faut que tu mettes un terme à cette bagarre, me dit Aaron en déboulant de nulle part. Leur conflit rend les gens hystériques ! Si ça continue, le hangar–
— Nan, merci.
— Mais…
J’entends à peine ce qu’il dit à cause de tous ces cris stridents. Ça me donne mal à la tête, putain. Je n’ai jamais vu un tel chaos.
Les gens se bousculent, se sautent dessus, et se hurlent à l’oreille. Et visiblement, je ne suis pas le seul à être étonné par ça.
Pearl semble troublée par ce qui l’entoure. Elle maintient mon bras comme si sa vie en dépendait, pendant ce temps, je cherche la localisation de la porte de secours.
— Je m’en vais. Préviens Wade, Chace et Jared de me rejoindre dans le parking. D’accord ? m’exclamé-je en haussant le ton pour qu’il soit en mesure de m’entendre.
Aaron acquiesce vigoureusement de la tête, et aussitôt, il s’en va en tentant de se frayer un passage. Je me tourne vers la brunette en remarquant que celle-ci est pétrifiée à la vue de ce mouvement de foule impressionnant.
— Allons-nous-en, lui susurré-je à son oreille et elle hoche mollement de la tête en guise de réponse.
C’est suite à ces mots-là que je me concentre vers ma cible, étant l’issu de secours, en ignorant les personnes à terre – ils se font carrément piétiner sur le visage.
Je comprime un peu plus l’emprise que j’ai sur Pearl et continue de marcher droit devant moi. Putain de merde. Je n’ai jamais vu autant de monde ici. Ils sont si nombreux que l’air est pratiquement étouffant.
— On y est presque, plaidé-je en m’adressant à Pearl.
Étant donné qu’un homme se tient sur ma voie, et qu’il ne paraît pas vouloir bouger, je l’assène d’un violent coup au creux de sa mâchoire pour qu’il s’éloigne.
L’alcool dans son sang et cette frappe ne font pas bon ménage puisqu’il tombe dans les vapes quelques instants après.
Quand on arrive finalement vers la porte métallique, je l’ouvre et automatiquement, on s’engouffre à l’extérieur.
Mon souffle est haletant – pareil pour Pearl.
— On n’aurait jamais dû entrer à l’intérieur, ajoute-t-elle en aspirant l’air.
— J’vais étrangler Aaron ! Quel con, menacé-je en tapant du pied avant de reprendre la parole. Viens, on se barre de là. J’en ai marre d’être ici.
— Ça marche !
Aussitôt dit, aussitôt on se rend dans le parking – une cinquantaine de véhicules y est stationnés. Wow. Ça fait beaucoup pour cet endroit assez étroit, dit donc ! Enfin, peu importe. L’important n’est pas là–
Un boucan infernal retentit, et brusquement, je sursaute.
MAIS, C’EST QUOI CE BORDEL ?
Les vitres du hangar viennent d’exploser : les cris de détresse redoublent de puissance. Des tonnes de gens se précipitent vers la sortie, et c’est lorsque je vois que l’un d’eux est enseveli de flammes que je me rends compte qu’un incendie s’est déclaré.
Oh, mon Dieu ! Je m’arrête de respirer. Et c’est seulement lorsque j’ai la certitude que mes potes sont sains et saufs que j’arrive à faire marcher mes poumons. Un long soupir de soulagement s’échappe de mes lèvres. Putain, j’ai vraiment cru qu’ils allaient y rester !
— DÉPÊCHEZ-VOUS, BANDE D’ENFOIRÉS ! hurlé-je tandis qu’ils courent vers moi.
— Il faut appeler les pompiers ! Vite ! exige Jared en s’effondrant à mes côtés. Heureusement que tu es parti à temps avec Pearl ! À l’intérieur, c’est un putain de foutoir.
— C’est fou à quel point le feu s’embrase rapidement, dit Chace en s’allongeant par terre, près de sa bécane, complètement exténué d’avoir frôlé la mort.
Dans une ambiance oppressante, Pearl commence à téléphoner les pompiers. Néanmoins, il est évident que ceci ne servira à rien.
De toute manière, tous ces gens seront brûlés vifs avant même que les sapeurs-pompiers n’arrivent à la rescousse. C’est pourquoi, avec les gars, on se contente simplement d’observer la façade du hangar en n’ayant pas le moindre espoir.
Les flammes consument progressivement la grange et ses victimes : un spectacle morbide. Et c’est peu de le dire.
Je tiens énormément à cet endroit, même si au fond, il n’a rien de chaleureux. C’était là où j’avais su acquérir une réputation de boxeur prometteur. Et c’était également là où je me réfugiais.
Le fait de le voir s’enflammer sous ce feu bouillonnant de mystère me rend particulièrement morose.
Je n’aurais jamais cru assister à ce désastre.
Alors que mon cœur est à un rythme irrégulier, l’apparition d’un message de Thalia m’annonce que cette soirée n’est pas près de se finir, et que ma fréquence cardiaque est destinée à s’affoler.
Programme ou non : ma vie est toujours aussi riche en rebondissements.
| Thalia – 23:56 | Il est de retour, Devon.