CHAPITRE 34
D’une façon presque immédiate, je déguerpis hors de la résidence, sous les interpellations de Thalia. Évidemment, elle ne comprend pas ma réaction étant plus ou moins étrange. Et honnêtement, sa confusion m’est complètement égale. Car, de toute manière, je sais que Thalia s’est habituée à mes sauts d’humeur, donc elle ne sera pas blessée par mon manque de tact.
Et c’est pour ça que lorsque je suis monté sur ma bécane, elle a cessé d’insister. Elle se contente seulement de rester là, sur le pas de ma porte, à me regarder attentivement.
Je finis par détacher mes yeux d’elle afin de m’engager dans les routes d’Atlanta, avec les pensées centrées sur le message de Pearl. Par ailleurs, dès que je l’ai reçue, j’ai directement tenté de la joindre : cependant, elle ne m’a pas répondu. Du coup, ça me fout un stress de malade. Bon sang, mais qu’est-ce qui peut être autant urgent pour qu’elle veuille que je vienne ? Il existe des tonnes d’hypothèses plus plausibles les unes que les autres ! Est-ce le retour de Tarek, ou encore, celui de Rators ? Je n’en sais rien, merde !
Le pire dans tout ça, c’est qu’entre la piaule de Thalia et Elena : je dois faire près d’une heure de route. De ce fait, ma putain d’angoisse ne s’arrange pas. Au contraire, même. Elle s’aggrave ! L’éventualité que les amis de Blake débarquent pour se venger commence sérieusement à me hanter l’esprit. Je déteste ça : être craintif. Pour la énième fois, la situation auquel est confrontée Pearl m’inquiète.
Les battements de mon cœur se multiplient si vite que ma cage thoracique est sur le point d’exploser. Même si un vent glacial s’abat sur mon visage, je n’y prends pas attention, tant je suis contrarié par mes satanées réflexions.
Quand j’arrive à destination, après avoir frôlé la mort une bonne dizaine de fois, je me précipite vers la porte d’entrée et pénètre dans la baraque, complètement perdue. J’entends des voix, ceux d’Elena, puis ceux d’un homme. Mes sourcils se froncent, et lorsque j’aperçois Mini-Hopkins s’avancer vers moi, mes traits s’adoucissent. Je ne peux pas m’empêcher de pousser un soupir de soulagement en découvrant qu’elle n’est pas blessée.
Sans que je m’y attende, elle s’enfouit dans mes bras, sous mon incompréhension. Je réponds à son étreinte et pose un doux baiser sur le haut de sa tête.
— Qu’est-ce qu’il y a ? lui demandé-je.
— Il… Il est là.
Sa voix se brise. Et je comprends instinctivement ses paroles.
Mes légers doutes s’effacent lorsque je le vois. Ses cheveux sont d’un noir proche de l’ébène, ses yeux le sont également, et je peux distinctement constater son étonnement en me voyant.
Ses pupilles me fixent intensément : mais, je ne flanche pas. Il est vêtu d’un costume intégralement noir, et en vue du regard qu’il lance à Elena, ce dernier est heureux de me voir.
Je serre davantage mon emprise sur Pearl et recule d’un pas. Putain, mais qu’est-ce qu’il fout ici ? Je contracte ma mâchoire avant de reprendre mon souffle. Une chose est sûre : cet homme est le conducteur que j’ai vu, quelques heures plus tôt – et accessoirement, le père de Pearl. Bien que ces deux-là ne ressemblent absolument pas en termes de physionomie, leur lien de parenté me paraît évident. Ils dégagent le même charisme.
— Tu dois être Devon, n’est-ce pas ? m’interroge-t-il en me désignant du doigt.
— Ouais, dis-je sèchement.
Je ne comprends toujours pas pourquoi il est là, alors que ça fait des années qu’il n’a pas donné de nouvelles à sa propre famille ! Mais, quel genre de connard peut faire un truc pareil ? En tous cas, pas moi. C’est carrément impardonnable ce qu’il a fait.
— Hum… Devon. Je te présente Klaus. Mon mari, ainsi que le père de Pearl, déclare Elena avec une certaine forme de malaise.
— Comment ça s’fait que ce salaud est là ? lâché-je, alors que ledit Klaus efface son sourire de ses lèvres à l’entente de mes mots.
Pearl se détache de notre embrassade, manifestement mécontente de mes paroles. Bah, quoi ? C’est vrai ! Ce gars les a abandonnés, du jour au lendemain, et malgré tout, elles trouvent le moyen de le défendre en me fusillant du regard.
— Eh bien, c’est que… rétorque Klaus, mais je le coupe.
— Je ne m’adressais pas à toi.
— Devon… grogne Elena en croisant les bras contre sa poitrine. Sois respectueux envers Klaus. Il est innocent. Alors, oublie tous les mauvais préjugés que tu t’es faits de lui.
— Hein ? lancé-je, abasourdi.
— Elle a raison… Il est innocent, valide Pearl en jouant négligemment avec ses bracelets.
Dans le but de mettre les choses aux clairs, on s’oriente dans le salon pour discuter sur le comment du pourquoi. Et apparemment, Mini-Hopkins n’est pas à l’aise. Durant toute l’explication, elle n’avait pas osé affronter le regard de son père. À tous les coups, elle l’évitait en fixant le sol, ou bien en caressant nerveusement Pacco – celui-ci se tient dans ses mains, et pour la première fois, il n’est pas en train de chier comme un malpropre.
Enfin bref.
Klaus raconte les faits : et en effet, il est innocent. Je m’explique.
Alors, en fait, lors d’une de ses missions, Klaus avait été porté disparu. Il s’était réfugié dans un chalet abandonné, au beau milieu d’une montagne, avec aucun moyen de contacter qui que ce soit.
De plus, il était blessé suite aux coups de feu qu’ils lui ont été infligés, de ce fait, il était inapte à sortir de cette cabane délabrée. C’est alors, au bout de quelques jours de captivité, qu’il tombe dans un sommeil, avec des chances de survies presque inexistantes.
Quand il s’est réveillé, Klaus était dans un hôpital. Et il venait de perdre plusieurs années de sa vie étant donné qu’il était placé dans un coma artificiel. Son partenaire était arrivé à temps pour le sauver. Elena, quant à elle, avait menti à Pearl en prétextant que son père est parti : car au fond, elle refusait d’admettre la possibilité qu’il soit mort.
Au plus grand étonnement de Mini-Hopkins, ça fait plus d’un an qu’Elena et Klaus préparent cette rencontre, celle où elle doit apprendre la vérité, sur le véritable départ de son paternel.
Bien entendu, tout ceci a l’effet d’une claque : tant ça semble irréaliste et illusoire.
Et c’est quand je réfléchis davantage sur le mystère de M. Hopkins que je réalise soudainement plusieurs mystères. Tous les appels étranges d’Elena étaient pour joindre Klaus, et son emploi extrêmement chargé, étaient en partie composées des visites qu’elle faisait à son mari. Et non, pour le travail.
Les pièces du puzzle se réunissent : toutefois, le résultat n’est pas fameux.
Pearl est dévastée, carrément dépassée par tous les événements et surtout, sous le choc. Elle m’avait déjà fait part de ses sentiments vis-à-vis de son père, qui n’était qu’autre que la personne dont elle admirait le plus, et de ses craintes.
— Je vais… aller dormir, marmonne Pearl avant de partir à l’étage.
Klaus se lève, visiblement préoccupé par sa fille, mais Elena l’empêche de faire un pas.
— Elle a besoin de temps, lui dit-elle doucement.
Il acquiesce mollement de la tête, se rassoit, déçu, tandis que je me lève à mon tour. Deux paires d’yeux se braquent sur moi.
Mais, je les ignore. Radicalement.
Je sors de la pièce, avec un air de lassitude, et avant de quitter définitivement le salon, je jette un léger coup d’œil vers Klaus et Elena. C’est là que je découvre qu’ils se prennent dans les bras, totalement anéantis : l’un murmure des mots rassurants et l’autre se retient de fondre en larmes.
Je monte les escaliers, en n’oubliant pas de soupirer profondément, et entre dans la chambre de Pearl – étant plongée dans la noirceur de la nuit. J’hésite quelques secondes, et décide finalement de ne pas allumer la lumière. Si elle souhaite demeurer dans l’obscurité, c’est parce qu’elle comptait véritablement dormir – ou du moins, faire semblant de dormir. Pearl voulait fuir ses parents : et tout le monde l’a bien compris…
Dans un épais silence, je retire ma veste cuir suivie de près de mon tee-shirt, en gardant les yeux rivés sur la crinière brune de Mini-Hopkins. Elle ne parle pas : et elle ne bouge pas. Néanmoins, je parviens à distinguer de légers sanglots à peine audibles. Je contracte ma mâchoire, déglutis brièvement et m’installe à ses côtés. Elle ne se retourne pas. Par conséquent, je m’approche d’elle afin de pouvoir enfouir ma tête dans son cou. Et aussitôt, elle frissonne à mon contact.
— Thalia t’adores, tu le sais ça ? dis-je dans un murmure.
Bien entendu, je ne vais pas parler de son père. Car sinon, elle risque de s’enfermer sur elle-même et de m’éviter. Or, cette possibilité ne me convient vraiment pas !
— Vraiment ? dit-elle d’une voix brisée.
— Elle s’est mise à sauter de joie quand elle a su pour nous deux. Et après, elle n’a pas arrêté de me poser des questions sur toi… Putain, tu ne peux même pas imaginer à quel point c’était chiant !
Pearl sourit doucement. Je me décale, afin qu’elle puisse se tourner vers moi. Ainsi, je peux apercevoir ses yeux bleus.
Même avec le temps, ils ont toujours cet éclat : fort et profondément intense.
Je ne m’en lasserais jamais. Ça, c’est sûr. Ils sont une beauté indescriptible, presque violente. Ses iris sont tout simplement parfaits. Bien que pour certains, ce n’est qu’un bleu banal : dans mon point de vue, c’est totalement différent.
— Et il s’est passé quoi d’autre ? me demande-t-elle avec enthousiasme.
Comme promis, je lui raconte ma visite avec Thalia, en ne négligeant pas les questions gênantes auxquelles j’ai dû être confronté. Pearl n’hésite pas à rire de temps à autre. Sur le moment, on en oublierait même que son père se tient encore dans le salon, tant notre anxiété s’est estompée.
Alors que notre conversation s’est tournée vers l’amour de Pearl pour les livres d’agents secrets, je me résolus finalement à cesser cette discussion en posant mes lèvres sur les siennes. Mon corps se retrouve au-dessus d’elle : et contrairement aux autres fois, ce n’est pas par accident, ou bien, pour me venger d’avoir volé mon Kinder Bueno.
— Attends. Tu veux que je me taise, pas vrai ? lâche-t-elle en faisant mine d’être offensée par mon baiser.
— Peut-être bien, rié-je en l’embrassant une seconde fois.
— Connard, me dit-elle en ne pouvant pas s’empêcher de sourire.
— Ouais, je sais.
Mes lèvres commencent à se diriger vers son cou, et directement, elle frémit. C’est alors que je sens son cœur battre tout aussi vite que le mien, dès lors où je me presse davantage sur elle. L’atmosphère devient papable. Et nos souffles se mettent à être haletants. Je converge mes yeux dans les siens – qui, dès à présent, ce sont assombrit. Un long frisson se propage sur chaque parcelle de ma peau, et c’est en profitant de mon instant d’inattention qu’elle se met au-dessus de moi, à une vitesse qui me laisse sans voix.
— Arrête de faire ça, grogné-je tandis qu’elle ricane simplement.
Quelques secondes plus tard, sans que je m’y attende, elle se redresse. C’est avec un sentiment de confusion que je l’imite. À présent, ses jambes se tiennent de part et d’autre de mes hanches, et ses bras entourent mon torse dénudé. Autrement dit, elle me fait un câlin… Hein ? Je me crispe sous son étreinte.
— Je déteste le fait que je t’aime, souffle-t-elle de façon presque imperceptible.
Normalement, dans ce genre de situation, je suis supposé dire que je l’aime également et commencer une déclaration comme dans toutes les fictions à l’eau de rose.
Cependant, aucun son ne sort de ma bouche. Je la serre simplement contre moi avant de poser un doux baiser sur le haut de sa tête. Je n’ai jamais été un adepte des discours affectueux : et ce, depuis toujours.
Honnêtement, si ça ne tenait qu’à moi, j’aurais préféré fermer ma gueule. Mais, en y repensant, ça serait une terrible erreur. Pearl sera certainement blessée par mutisme, alors il faut que je fasse un effort pour arrêter, ne serait-ce qu’un instant, d’être un connard.
— Je déteste aussi le fait que je t’aime… avoué-je doucement, avant de reprendre la parole avec une voix nettement plus basse. Plus que moi-même.