CHAPITRE 33
Curieusement, quand j’y repense, j’avais réussi à trouver le sommeil : et ce, d’une façon si rapide que j’en reste encore bouche bée. Pour certains/ou certaines, le fait de dormir paisiblement est ordinaire et extrêmement banale. Cependant, pour moi, c’était comme un phénomène rarissime. Ça faisait des lustres que je n’avais pas apprécié la douceur et la satisfaction engendrée par la réalisation d’un rêve agréable. D’habitude, mes rêves étaient vides, presque fades et dépourvus de dynamisme. Parfois même, je n’en avais tout simplement pas. Mes songes étaient quasi-inexistants.
Alors, évidemment, quand je me rends compte de tout ça : pour la première fois de ma vie, je me réveille avec une certaine forme d’enthousiasme matinale. Les rayons du soleil traversent les rideaux translucides jusqu’à atterrir sur les plis de la couverture blanche. Et à vue d’œil, je dirais que nous sommes dans les alentours de midi, à tout casser. De ce fait, la faim commence à se faire sentir. Toutefois, elle est supportable. Par conséquent, je ne sors pas du lit pour me servir des nutriments comestibles.
À vrai dire, ce n’est pas la flemmarderie qui me pousse à rester, mais plutôt, la présence de Pearl. Cette dernière est toujours endormie, et manifestement, elle ne compte pas se lever avant un moment. Tant mieux. Je préfère qu’elle ne prenne pas en flagrant délit en train de la regarder – ou devrais-je dire, contempler, ce terme convient assez bien.
Elle avait l’air si innocente : que j’en oublierais presque sa force égalable à un malabar. Je place une de ses mèches rebelles derrière son oreille, avec discrétion bien entendu, et me retiens de pouffer de rire en voyant un filet de bave sur son menton. Tellement glamour, vous ne trouvez pas ? Ses cheveux sont attachés dans un chignon désordonné, son teint naturellement porcelaine est pâle, ses paupières sont légèrement gonflées à cause de ses précédents pleurs et sa bouche grande ouverte est dissimulé derrière sa main : voici Pearl dans toute sa splendeur. Et contrairement à ce que vous pourriez penser, son charme ne s’est pas volatilisé. Elle est toujours aussi resplendissante et superbe que d’habitude : et franchement, je ne suis vraiment pas le genre à complimenter les gens ! De ce fait, croyez-le ou non, cette fille est sincèrement sublime. Et un peu trop parfaite sur les bords.
Pearl est l’exact opposé de Kendall. C’est pourquoi je me demande bien comment j’ai pu, ne serait-ce qu’un instant, être attiré par petite-amie n°1. Nan, mais sérieusement. C’est vrai, quoi. Décidément, ce mystère restera non-résolu pour le restant de mes jours ! Et– OUPS. Je viens d’écraser la tête de Mini-Hopkins en essayant d’attraper le réveil. J’y étais presque, putain ! Évidemment, elle ne tarde pas à se réveiller en me bousculant.
Et comme vous le savez déjà, cette fille a beaucoup de force… Pris au dépourvu, je tombe du lit, tête la première, et gémis de douleur. Bordel ! Et dire que j’étais content de commencer cette journée. Il faut toujours qu’elle gâche tout. Je marmonne des injures et me lève, sous son regard confus.
— Il est quelle heure ? me demande-t-elle en ignorant le fait qu’elle m’ait volontairement poussé hors du matelas.
— J’essayais justement de le savoir, craché-je en désignant le réveil. Avant que tu ne m’attaques, bien sûr.
Elle s’en fout royalement, et aussitôt, elle regarde les numéros affichés sur la petite horloge. Sans que je m’y attende, elle émet un sursaut et bondit à l’extérieur du lit. Je me contente de froncer les sourcils, en la fixant attentivement, et elle déclare rapidement :
— Il est 12:45 ! me dit-elle en paniquant.
— Et alors ?
Pearl fonce dans la salle de bains et commence sa routine matinale, alors que je me décide simplement de l’observer. Brosse à dents dans la bouche et cheveux bruns en bataille, elle répond :
— J’étais supposée me rendre à l’Agence pour les entraînements depuis plus de deux heures ! s’affole-t-elle alors que je demeure dans un état proche de l’ennui.
— Relax… Tu peux leur dire que tu étais malade, proposé-je calmement et elle cesse tous ses gestes.
— Hum… Tu as peut-être raison, rétorque-t-elle en finissant de se nettoyer sa dentition. Ça m’éviterait de me faire réprimander par M. Underwood et… Mais, attends, t’es vraiment sûr que c’est autorisé ?
— Que ça soit autorisé ou non, tu crois vraiment que j’en ai quelque chose à foutre ? fis-je en commençant également à faire un détartrage des dents.
Elle roule des yeux, tandis que je garde un air amusé.
— Ah, oui. J’avais complètement oublié que je parlais à Devon Maxwell !
Je souris à l’entente de ses mots, et après avoir achevé ma routine matinale, je m’oriente dangereusement vers elle. Ses yeux bleus plantés dans les miens, nos souffles entremêlés dans l’air et mes mains appuyées sur les extrémités de ses hanches : je réalise pleinement de notre rapprochement engendré cette nuit.
Contrairement aux fois précédentes, elle ne me repousse pas. On reste silencieux, presque muets, pendant qu’un flot de réflexion s’immisce dans ma tête.
Je détaille attentivement la commissure de ses lèvres rosies, avant de poser délicatement ma main vers sa mâchoire, sous un calme sidérant. Elle frisonne à mon geste, certainement à cause du contraste entre la froideur de mes doigts et la chaleur, pratiquement brûlante, de sa peau porcelaine. Son regard se fait plus insistant, plus vif, et surtout, plus intense. Bordel, elle veut ma mort ? Si c’est le cas, elle s’y prend parfaitement en m’observant de la sorte.
Et sans que je le fasse exprès, je me revois quelque temps plus tôt, lorsque ses iris bleus égalables à des saphirs s’étaient posés sur moi, pour la première fois. Ça m’avait considérablement troublé. Et encore aujourd’hui, cet effet-là continue de demeurer intact.
— Tu comptes m’embrasser, ou bien–
Sa phrase reste en suspens : étant donné que je viens de poser mes lèvres contre les siennes. À cet instant précis, je n’avais jamais été autant sûr de moi. Tous mes moments d’hésitation, de réticence, et de peur vis-à-vis d’un éventuel attachement : tout ça n’était plus qu’un sombre souvenir. Clairement, j’en ai assez de m’imposer des limites. Alors que notre baiser devient progressivement ardent, un raclement de gorge retentit.
Je grogne intérieurement, brise à contrecœur notre contact, et tourne la tête vers Elena. Cette dernière se tient tranquillement sur le seuil de la salle de bains, avec les bras croisés contre sa poitrine.
— Je vous dérange, non ? nous dit-elle tandis que je peux distinguer le malaise de Pearl.
— À ton avis ? grommelé-je sèchement.
Agacé et à la fois frustré, je passe ma main au-dessus des épaules de Mini-Hopkins : presque immédiatement, l’officière se retient de jubiler. Elle doit certainement croire que mon rapprochement avec sa fille est grâce à elle, alors que pas du tout !
— Le repas est prêt, finit-elle par signaler.
Je hoche mollement de la tête, et par la suite, elle s’en va, en n’oubliant pas de me sourire discrètement. Décidément, cette femme est vraiment incorrigible. Je tourne la tête vers Pearl, toujours autant gênée par l’intervention de sa mère, et commence :
— On y va ?
Elle acquiesce positivement et on s’avance vers les escaliers. Cependant, avant qu’on ne franchisse un pas, je l’embrasse en savourant son parfum mentholé. Elle sourit sur mes lèvres, et automatiquement, une forte volonté s’installe en moi.
Malgré le fait que je sois conscient que l’avenir risque de réserver beaucoup de surprise, une chose est sûre : je ferai tout mon possible pour protéger cette fille. Même si pour ça, j’dois crever comme Jack, dans le film Titanic.
✽✽✽
Plus que trois jours avant le procès, et c’est que maintenant que je me décide à rendre visite à Thalia.
Étant donné que j’ai demandé à Elena de rester silencieuse en ce qui concerne l’annonce de la fin du programme, ma tante n’est au courant de rien. Et franchement, je suis curieux de voir sa réaction. Car, non seulement elle va apprendre mon retour, mais elle va également connaître l’évolution de ma relation avec Pearl. C’est certain qu’avec ça, elle sera aux anges. Même si elle a croisé une seule fois Mini-Hopkins, Thalia n’a pas arrêté de lui faire des éloges à chaque fois que je venais chez elle.
À la longue, c’est chiant, mais au fond, c’est nettement mieux que de supporter ses remarques sur la vulgarité de Kendall.
— Bon, tu viens ? déclaré-je à l’intention de la chieuse.
— Attends un peu ! me réprimande-t-elle en galérant avec ses chaussures.
Je ricane en voyant qu’elle n’arrive pas à faire un nœud correct à ses lacets. Ça fait plus de cinq minutes, et bien qu’il est évident qu’elle n’y parviendra pas, elle ne me demande pas mon aide.
Cette fille est vraiment têtue. Un peu comme moi, à vrai dire. Je m’avance vers elle, me mets accroupi, et elle cesse tous ses gestes.
— Laisse-moi faire, lui dis-je avec un air amusé. Regarde, c’est simple. Tu fais deux oreilles de lapin, puis le tour de l’arbre et tu finis par entrer dans le terrier.
Après avoir fait le premier lacet, je lève la tête vers elle et parviens à discerner des étincelles. Je souris en voyant son éblouissement.
Elle ne se fiche pas de moi – en fait, c’est plutôt le contraire. Pearl commence à s’attaquer au deuxième lacet en murmurant ma phrase, telle une enfant, ce qui provoque l’apparition d’un sourire sur mes lèvres.
— Mon père me l’avait appris quand j’étais gamin, marmonné-je doucement et elle relève la tête.
— Où vous allez comme ça ? interroge Elena en débarquant.
— Chez Thalia, répondis-je en me redressant.
— Hum… Il faut que je dise quelque d’important à Pearl, lance-t-elle en étant étrangement mal à l’aise. Tu ne pourrais pas y aller seul ?
Le ton dont elle entreprend me laisse à penser que je dois impérativement accepter. Et puis, en vue des circonstances de la situation, une discussion entre elles serait une chance inouïe pour qu’elles puissent renouer les liens mère et fille. C’est pour ça que sans hésiter, je dis :
— D’accord.
Je jette un bref regard en direction de Pearl, celle-ci est perdue et ne comprends certainement pas ma réponse puisque nous étions plutôt enthousiastes à l’idée de rendre visite à Thalia, ensemble.
De plus, ça faisait près de quatre jours que je ne l’ai pas quitté des yeux, alors le fait que je la laisse aussi brutalement doit vraisemblablement être étrange pour elle.
— Mais… fit-elle avec confusion.
— À tout à l’heure. Je te raconterai tout en détail après, lui dis-je simplement avant de l’embrasser tendrement sur le front. Amusez-vous bien toutes les deux !
Et sans plus attendre, je quitte la baraque pour m’orienter vers ma moto. De quoi pourraient-elles parler ? Je n’en ai pas la moindre idée.
C’est dans une ignorance presque absolu que je monte sur ma bécane et que je fais grogner le moteur. Même si je déteste ça, je place un casque sur ma tête pour maximiser ma sécurité – comme le dit si bien Pearl, et m’engage hors de l’allée.
Une voiture noire attire mon attention – ou plutôt, le conducteur. On s’échange un court regard, et je me casse d’ici, avec l’intention de venir chez ma tante.
Quand j’arrive à destination, je gare rapidement ma moto et m’avance vers la porte d’entrée. Bien entendu, je ne toque pas, et me contente d’entrer à l’intérieur, sans attendre son accord. À force, elle doit sûrement s’y habituer. Alors, du coup, les formes de politesses ne servent à rien !
— THALIA !
Je l’entends courir, et lorsqu’elle se trouve devant moi, son chiffon entre les mains me laisse à en déduire qu’elle était en train de faire de la pâtisserie : comme elle en a l’habitude.
La bonne humeur se voit sur son visage quand elle m’aperçoit, c’est limite si elle vient de découvrir que je reviens d’entre les morts !
— Te voilà enfin ! Tu ne peux pas imaginer à quel point je me suis inquiétée pour toi, s’exclame-t-elle.
Toujours à dramatiser ! Décidément, elle ne changera jamais sur ce point. Je soupire bruyamment, ferme la porte derrière moi et elle déclare, d’une voix pleine de gaieté :
— Allez, viens ! Je suis persuadée que tu as des tonnes de trucs à me dire !
Si elle savait…
On s’installe dans le salon, et les premières paroles fusent. Forcément, Thalia ne s’empêche pas de faire son interrogatoire improvisé.
Elle me pose des questions, encore et encore, et quand je lui annonce que le programme de protection des témoins est terminé : elle devient un véritable démon. Hystérique et assourdissante. Et c’est mille fois pire quand je lui dis que j’ai quitté Kendall.
— Depuis le temps que j’attendais ça ! s’écrie-t-elle en se levant du salon, avant de continuer. Et quant est-il de Pearl ?
— Ah, oui. On sort ensemble, dis-je avec tranquillité.
— Bon sang ! Tu aurais pu commencer par ça quand même ! me réprimande-t-elle en sautillant de joie.
Ses diverses questions reprennent, et je me maudis d’avoir parlé Pearl, car c’est quasi-impossible de l’arrêter. Sa curiosité est à son apogée. Ça doit faire plus de deux heures que je suis ici, et pourtant, j’ai l’impression que ça fait une éternité. À chaque fois qu’elle me demande un truc, je me contente de secouer paresseusement la tête, tant ses paroles m’exaspèrent.
Soudain, au niveau de ma poche, une vibration retentit. Je n’attends pas une seconde de plus, et sors mon portable. Si ça peut me faire oublier les questions de Thalia, même pendant quelques secondes, ça me va ! J’appuie sur le message de Pearl et ma tante se tait, à mon plus grand bonheur :
| Mini-Hopkins – 22:16 | Il faut que tu reviennes. C’est vraiment urgent.