CHAPITRE 22

Nous sommes le 19 décembre. Autrement dit, c’est l’anniversaire de Pearl. Et comme je suis un mec gentil et serviable, j’ai décidé de m’attaquer à la confection d’un gâteau. Au début, ça a été compliqué de réunir tous les ingrédients nécessaires : mais, en fin de compte, j’ai réussi ! À présent, une bonne odeur de chocolat s’émane de mon beau gâteau digne des plus grandes chaînes de pâtisserie. Honnêtement, j’en suis vraiment fier. Contrairement à la dernière fois, ce cake est beaucoup plus joli !

Lorsque je dépose mon chef-d’œuvre sur une grille, Elena débarque dans la pièce après avoir passé un soi-disant coup-de-fil.

C’est vraiment louche le fait qu’elle se mette à l’écart pour téléphoner, non ? Et qu’à chaque appel, elle revient constamment dépitée – et avec le teint blafard. Comme par exemple, maintenant.

— Je suis sûre que ça va plaire à Pearl ! Elle adore le chocolat, lance-t-elle en dissimulant son mal-être derrière un sourire radieux.

À l’entente de ses mots, je me contente de sourire avant de décorer prodigieusement la surface marron avec de la ganache afin d’apporter un goût sucrée. Ma concentration est à son apogée. Bien que je ne regarde pas Elena, je sais qu’elle me fixe attentivement avec cet air complaisant : cette attitude me rappelle énormément Thalia. En y repensant, ces deux-là ne sont pas si dissemblables, malgré mon comportement révoltant, Thalia et Elena restent toujours autant attentionnées à mon égard. Et cela m’est réellement rassurant.

Dès que je finis mon travail de pâtissier, mon regard s’arrête rapidement sur ses yeux bleutés.

— Alors, quelle mouche t’a piqué pour que tu veuilles faire cette délicate attention ? me demande-elle en se levant de sa chaise.

— Les mouches ne piquent pas. C’est les moustiques qu’ils le font, affirmé-je en sachant pertinemment qu’elle s’imagine un tas de scénarios délirant.

La connaissant, Elena doit certainement penser que j’ai fait un gâteau, seulement pour faire plaisir à sa très chère fille. Alors que ce n’est pas du tout le cas, hein ! J’aime tout autant le chocolat que Pearl. Donc, je n’ai pas galéré à suivre une recette pendant près d’une heure juste pour elle ! Ne vous méprenez pas… !

— Ne changes pas de sujet, jeune homme ! Avoue que tu l’aimes.

— Hum… nah. Tu peux toujours rêver, déclaré-je en retirant mon tablier étant ensevelit de farine.

— Tu es vraiment incorrigible… grogne-t-elle en roulant des yeux. Comporte-toi comme un homme, merde ! Et cesse de nier tes sentiments. Sinon, Pearl risque de tomber dans les bras de ce crétin de Keegan !

Décidément, elle est têtue comme une mule. Ça fait un moment qu’elle est persuadée que j’ai un penchant pour Pearl, alors qu’à ma connaissance, il ne s’est rien passé entre nous – en dépit du fait que l’on s’est embrassé et que j’ai mis en place un jeu de séduction, bien entendu !

— Attends. Si on récapitule bien, tu préfères que ta fille soit avec un délinquant violent, à la place d’un lèche-cul bipolaire ?

— Entre-autre, oui. C’est ça.

— Et moi qui pensais que tous les flics sont responsables… J’me suis totalement gouré, rétorqué-je d’un ton amusé.

Par la suite, on s’oriente dans le salon. La lieutenante Hopkins s’installe confortablement sur le divan, quant à moi, je m’avance vers la cage de Pacco pour pouvoir le faire sortir, ainsi, il peut pleinement profiter de l’espace de la pièce. Comme à son habitude, il grimpe sur mon bras jusqu’à venir se mettre sur mon épaule droite. Je chatouille légèrement le haut de sa tête, et fini par le poser au creux de mes mains.

Je le scrute, l’examine, l’observe : en constatant que son pelage commence à apparaître en abondance. C’est hallucinant de voir à quel point sa croissance est rapide. Un sentiment de nostalgie s’engouffre en moi lorsque je me rends à l’évidence qu’il va falloir relâcher cette petite bestiole dans la nature pour qu’il puisse vivre dans son propre environnement. Même si j’aurais sincèrement voulu adopter ce rongeur, ceci est impossible. C’est illégal.

Bon, vous allez sûrement avoir des questions du style : depuis quand tu respectes les lois, toi ? C’est vrai que vous n’avez pas tort. En temps normal, j’aurais violé la règle, mais après plusieurs instants de réflexions, je me suis rendu compte que ceci est pour le bien de Pacco. Il mérite d’avoir une belle vie, une famille avec des mioches et tout ce qui va avec.

Après que je me sois placé à droite d’Elena, celle-ci commence :

— Il va devoir partir dès le début du mois de printemps.

J’entreprends un fugace contact visuel à son égard, et converge les yeux vers Pacco. À ce moment précis, j’éprouve de la tristesse, mêlée à une certaine forme de résignation. Cet écureuil va devoir partir de cet endroit, un jour où l’autre – comme moi. Je ne peux pas lutter contre ça.

— Je sais, dis-je simplement.

— Il faudrait que Pearl le sache, non ? renchérit-elle alors que je continue de le regarder intensément.

— Pas maintenant.

Les minutes s’écoulent à une vitesse phénoménalement lente. Il doit être dans les environs de vingt heures, et pourtant, Pearl n’est toujours pas rentrée. De ce fait, Elena et moi avons décidé de manger sans elle, puisque nos ventres ne nous ont pas vraiment laissé l’embarras du choix. J’entame rapidement mon plat de riz, tout en écoutant les anecdotes d’Elena. Étant donné qu’être officière de police n’est pas un métier fastidieux : cette dernière a dû être confronté à des tonnes de situations plus farfelues les unes que les autres.

Lorsque je me souviens avec difficulté qu’elle et moi avions déjà entretenu une courte conversation lorsque j’avais douze ans, c’est là que j’éclate de rire. À l’époque, j’avais volé quelques trucs chez un marchand du coin. Rien de très grave comparé à ce que je fais maintenant.

— C’était donc toi, ce gamin qui avait ignoré mon coéquipier et qui avait craché sur ces godasses ! rie-t-elle de plus belle.

— Ça date de sept ans quand même !

Je ris tandis que nous continuons à discuter, bien que l’absence de Pearl commençais progressivement à provoquer un sentiment d’inquiétude. Malgré le fait qu’elle ait téléphoné pour annoncer son retard, une pointe de crainte est toujours omniprésente. Dans la résolution de calmer mon stress ambiant qui monte en flèche : je bois une gorgée d’eau.

— Oh, au fait. Pourquoi est-ce que Pearl est moins… euh, débute Elena, en fronçant les sourcils.

— Protectrice ? deviné-je, et elle acquiesce positivement de la tête en signe d’approbation. Bah, c’est que… c’est moi qui l’ait demandé de l’être.

— Ah, oui ? Mais, elle n’a pas le droit de… dit-elle, mais sa phrase reste en suspens.

La porte d’entrée vient de s’ouvrir. Et lorsque j’entends plusieurs voix, je peux facilement deviner que Pearl n’est pas venue seule. Instinctivement, Elena et moi sommes dirigés vers le hall d’entrée en remarquant la présence d’un grand blondinet, de l’enfoiré de service, de Mini-Hopkins et de la fille ayant une taille de naine. En d’autres termes, il s’agit de Luke, Keegan, Pearl et Chrissy.

— Mme Hopkins, comment allez-vous ? interroge le merdeux en s’orientant vers Elena.

— Bien, lui dit-elle en souriant faussement.

Et c’est ainsi que démarre une fête d’anniversaire nulle à chier… Pearl discute avec Keegan, tandis que Luke et Chrissy me posent d’innombrables questions inutiles. Par ailleurs, le fait que ces deux-là soient au courant que j’habite ici n’a pas vraiment plu à Elena. Mais, bon. Ceci n’est qu’un détail impertinent. Le plus important, c’est que je m’en bats les couilles des amis de Pearl. Or, ils ne font que de parler, encore et encore. Putain, qu’est-ce que c’est chiant !

— Devon ?

J’ignore cette interpellation. Il s’agit de la voix de Chrissy alias la fan hystérique qui adore regarder mes matchs de boxe. Au lieu de m’intéresser aux gens à mes côtés, mes yeux noisettes sont rivés sur les deux tourtereaux se situant à une distance assez large de moi. Les secondes passent : et c’est à cet instant que je ne peux plus décrire mes propres sentiments. Du dégoût, de l’ennuie ou de l’énervement ? Aucune idée. Peut-être un peu de tout. Je trépigne de colère à la vue de leur promiscuité inappropriée et leur éclat de rire assourdissant. Être au sein de cet endroit, à quelques mètres de lui, me donne la nausée. Quand je vois la main du salopard sur sa cuisse, c’en ait trop. Brusquement, je me lève pour me rendre dans la cuisine : la pièce où personne n’est là pour m’emmerder.

J’accapare une bouteille d’eau fraîche, et boit le liquide d’une seule traite. Malgré cette froideur soudaine, j’ai l’impression étouffé. Aussitôt, je retire mon haut – car oui, j’en ai porté un ! Ensuite, je lance mon débardeur de l’autre côté de la pièce, et balaye les alentours du regard. Qu’est-ce qui me prends d’être comme ça ? Il ne s’est rien passé… Alors, pourquoi suis-je ainsi ? Proche d’une impulsivité extrême avec le profond besoin de me défouler sur Keegan.

Bordel. Je prends un appuie contre l’îlot central, et essaye de mettre les choses aux clairs dans ma tête. Tout se bouscule. Il faut que je me calme. Mais, comment ? Je contracte mes muscles, serre les dents, et ferme les yeux.

Putain, Devon, reprend-toi !

Tout ça : mon attitude, mes émotions et mon avidité de violence. Cela est éventuellement être dû à… Non, c’est impossible. Je ne peux y croire. De toute évidence, je délire complètement. Je passe ma main sur mon visage en me rendant compte à quel point je suis pathétique. Comment ai-je pu envisager être jaloux de Keegan, sérieusement ? Ça n’a strictement aucun sens. Ce gars est ennuyeux, irritant, nais, et j’en passe !

Soudain, la porte s’ouvre. Luke.

— Qu’est-c’tu veux ? grommelé-je en le fusillant du regard.

— Personne ne comprend pourquoi tu es parti aussi brusquement du salon, ajoute-t-il en fermant la porte derrière lui avant de s’orienter vers moi. C’est en rapport avec Pearl et Keegan, non ?

— Dégage.

— Sache qu’en plus d’être son ami d’enfance… commence-t-il simplement.

Et là, je saisis son col avec la ferme intention de foutre un poing dans sa gueule. J’ai déjà essayé de le tabasser à deux reprises. Cette fois-ci, je ne vais pas rater sa face angélique.

Étrangement, il ne semble pas effrayer par ma personne. En fait, il est plutôt calme… trop calme. Je pourrais le défigurer en ce moment même, et pourtant, il garde cette attitude neutre.

— Ils sont sortis ensemble pendant trois ans, poursuit-il doucement. Je pense que tu devrais savoir ça.

Mon sang afflux à même point. Je relâche mon emprise, et recule d’un pas. Le regard dans la vague, je me perds dans un gouffre de tourment. D’habitude, j’ai tendance à ne rien laisser transparaître… Mais là, je mime une expression d’incompréhension. Je suis tétanisé. Totalement. Voyant que Luke me regarde en pensant qu’il a touché un point sensible, je me ressaisis immédiatement.

— Et alors ? J’n’en ai rien à foutre, craché-je en partant de la cuisine.

Je prends soin d’entrer en collision nos deux épaules, et m’avance dans le salon pour sortir Pacco de sa cage. Tous les regards sont braqués sur moi : mais, je m’en contre-fiche. Quand mon petit protégé est au creux de ma main, je me déplace jusqu’à la salle à manger en m’assurant de fermer les portes pour éviter une visite surprise.

Le silence règne. Et c’est mieux ainsi.

Les minutes, les secondes et les millisecondes s’écoulent lentement. Grâce à la tonalité des voix, je devine que Chrissy et Luke viennent de partir. J’en viens donc à conclure que c’est également le cas de l’autre. C’est alors que j’ouvre la porte, avec la forte volonté de me rendre dans le salon pour y déposer Pacco, et bizarrement, je ne vois personne. Les éclairages sont allumés, tout comme la télévision. Enfin, peu importe.

J’entre dans la cuisine pour savourer un lot de biscuits : et c’est lorsque je m’apprête à ouvrir l’armoire que je remarque qu’une lumière éblouie le jardin. Deux silhouettes se tiennent sur la verdure.

Par simple curiosité, j’inspecte scrupuleusement les deux individus n’étant qu’autre que Pearl et Keegan. Oh, quel hasard ! Putain de merde, je porte malheur ou quoi ? D’après mes analyses, ils sont en train de discuter. Attendez ! Ils parlent de licorne ? Ah non, plutôt des 5 Seconds Of Summer ! Je pense que c’est une perte de temps de préciser que je ne détiens pas la capacité de lire sur les lèvres : c’est carrément catastrophique.

Et là, mon cerveau se déconnecte. Tandis que le temps s’arrête.

Ils viennent de s’embrasser. Et dès à présent, je prends pleinement conscience d’une chose qui m’était insupportable : je suis jaloux.