CHAPITRE 21
C’est officiel : cette fille est suicidaire. Dès lors où elle se tient face à moi, mes yeux se sont plantés dans les siens. J’essaye de discerner ses intentions, en vain. Pourquoi a-t-elle voulu faire quelque chose d’aussi débile, c’est-à-dire, se livrer à un combat avec moi ? Ça n’a aucun sens ! Après tout, il est évident que ses probabilités de me vaincre sont vouées à l’échec.
— OH, WOW ! Pour tous celles et ceux n’ayant pas assisté au match, cette jeune demoiselle n’est autre que la gagnante du mythique combat avec Dark ! annonce l’arbitre avec euphorie.
Je ne prends pas attention à ses paroles, et continue à fixer longuement l’attitude de Pearl. À mon plus grand étonnement, un sourire mesquin se forme sur ses lèvres pulpeuses étant pigmentées par une couleur rose pâle. Euh, elle est en train de se foutre de ma gueule là, non ? Je serre les poings tandis que le public devient hystérique.
— Ce duel risque d’être corsé, croyez-moi ! Le célèbre Devon contre la mystérieuse combattante, ceci est inédit, poursuit le laideron.
Les spectateurs sont incontrôlables : ils sont carrément surexcités à l’idée d’assister à cette lutte imminente. Les iris bleutés de Mini-Hopkins me déstabilisent… Que suis-je censé faire maintenant ? Je n’en ai aucune idée. Tout ce que je sais, c’est que je ne compte pas en venir aux mains avec elle. Pourquoi ? Parce que. C’est comme ça. Je n’ai pas à me justifier. Une bagarre entre la chieuse et moi n’est pas envisageable, point final.
— Soyez prêts, car le choc va être terrible. Ces deux rivaux sont redoutables. Derrière leur physique de mannequin se cache une âme de guerrier ! À PARTIR DE MAINTENANT, LES PARIS PEUVENT COMMENCER ! À vous de prédire le….
— Ferme ta gueule, putain.
Ma voix est d’une froideur sidérante. Un silence envahit l’atmosphère provoquant la paralysie de nombreuses personnes. Je présume que les gens sont indéniablement perdus par mon comportement. Normalement, je devrais être en train d’échauffer mes muscles. Or, à cet instant précis, ce n’est pas le cas. Mon agacement s’amplifie. Le fait que Pearl se porte volontaire pour gâcher ma soirée détient la fâcheuse tendance de m’énerver. Vraiment. Elle n’a pas le droit de faire ça ! Je m’avance dangereusement vers Pearl. Pendant ce temps, tout le monde a le souffle coupé, et pense naïvement que je vais m’attaquer à elle.
— Qu’est-ce que tu fous là ? m’exclamé-je en me tenant à quelques centimètres d’elle.
— Bah, quoi ? Je suis ici pour me battre contre toi. Ça ne se voit pas ? me dit-elle simplement.
Elle me provoque, bordel de merde. Elle a consommé des substances illicites, ou ça se passe comment ? Pearl est devenue folle ! Si on se confronte physiquement, il est incontestable qu’elle sera gravement blessée. Décidément, elle n’est pas normale.
— Un problème ? demande doucement l’arbitre.
— TA GUEULE ! Je t’ai dit de te taire, qu’est-ce que tu ne comprends pas dedans ? m’écrié-je en me dirigeant vers lui pour saisir son col.
— J-Je suis désolé, marmonne-t-il avant de déglutir.
Il plaisante, j’espère ? Je lui ai clairement dit de fermer sa bouche et il trouve un moyen de dévier mon ordre. Quel culot. Déjà que je suis vénère, mon état ne s’arrange pas du tout. Je lâche mon emprise, et finis par cracher sur son visage.
— J’m’en vais ! Pas question que je me batte avec cette emmerdeuse, lancé-je en m’orientant vers Kendall pour prendre mes vêtements.
Lorsque je suis en possession de mes fringues, je descends du ring avant de m’en aller. Les gens me laissent un chemin jusqu’à la sortie pour éviter de se trouver sur mon passage. Quand je suis en rogne, il vaut mieux ne pas attiser ma colère. La situation pourrait dégénérer ! Vous vous demandez certainement pourquoi je me mets dans une humeur si massacrante, pas vrai ? Cette exaspération est due au fait que j’en ai assez qu’on me sous-estime. Dans le cas ci-contre, Pearl a pensé que je suis un adversaire à sa taille – alors que c’est totalement faux. Et ceci me rend vraiment furax.
J’enfile mon tee-shirt suivit de ma veste en cuir tout en me dirigeant en grandes enjambées vers ma moto. Le vent glacial me balaye vivement le visage.
— Devon, attends ! Qu’est-ce qui ne va pas ? m’interrompt une personne, communément appelée Kendall – ou petite-amie n°1.
— Laisse-moi tranquille, grogné-je en me tournant vers cette dernière.
— Nous sommes supposés être un couple, merde ! Je peux au moins savoir pourquoi tu es aussi distant ces temps-ci, non ? s’exprime-t-elle en croisant ses bras contre sa poitrine.
— T’es sérieuse là ? craché-je en haussant le ton. Qu’est-ce que tu ne comprends pas avec le fait qu’un putain d’assassin veut ma mort, hein ? Qu’on mette les choses au clair, il est hors de question que je reste avec toi en sachant que je peux crever d’une minute à l’autre. Être en ta compagnie, c’est carrément une perte de temps. Alors, maintenant. Dégage, Kendall.
Mes paroles ont été prononcées avec une fluidité qui m’étonne presque. Être exécrable avec elle m’aide à me calmer. Désormais, ma colère s’est atténuée. C’est bon signe. Alors que Kendall m’observe avec stupeur, je me contente de former des nuages de vapeur de couleur lucide. Manifestement, mes mots l’ont bouleversé. Elle est incapable d’exposer le fond de sa pensée. Son corps est quasiment paralysé. En fin de compte, il aurait mieux fallu que je sois moins brusque. Il est fort probable que je viens de briser son cœur. Oups.
— Tu veux dire que… toi et moi… c’est fini ? bafouille-t-elle.
— Ouais, exactement !
Zut, j’ai complètement zappé d’être subtil… Oh et puis merde ! Ça ne sert à rien. Plus vite je la quitte, plus tôt je me casse d’ici. Certaines – ou certains – doivent sûrement penser que je suis un véritable sans-cœur. Eh bien, sachez que vous avez en partie tort. Certes, je reste indifférent face à cette rupture et au désespoir de Kendall : mais, au plus profond de moi – là où c’est difficile à trouver – je me sens mal pour elle.
Même si elle savait pertinemment que je ne lui dirais jamais les trois mots fatidiques, ou bien que je ne lui ferais jamais des signes d’affections, Kendall m’a tout de même accepté comme je suis : c’est-à-dire, un boxeur superficiel et égocentrique avec un passé troublant. Malgré toutes mes frasques et mes remarques désobligeantes, elle a toujours été là. Et j’en suis profondément reconnaissant pour ça. Mais, vous savez… Toutes bonnes choses ont une fin. J’ai atteint un stade où il est inutile que je me voile la face. Elle et moi, c’est impossible. Je ne peux pas avoir des sentiments pour Kendall. Sa présente m’étouffe.
Et puis, ça serait vraiment cruel que je lui donne des espoirs. Il est préférable que l’on se sépare maintenant avant qu’elle soit davantage blessée émotionnellement par mon comportement détestable.
— Je pensais… Je pensais qu’on était bien ensemble… sanglote-t-elle en ayant les yeux pétillants par les pleurs. Devon, sois honnête, je t’en prie. Est-ce que, ne serait-ce qu’un instant, tu m’as aimé ?
Les larmes perlent le long de son visage provoquant ainsi un énième agacement de ma part. Je contracte la mâchoire. Dois-je être sincère envers elle ? Il le faut. Kendall mérite de connaître la vérité, bien que ça risque d’être compliqué à encaisser. De façon décontractée, je déclare soudainement :
— Non. Je ne t’ai jamais aimé, Kendall.
Elle est sous le choc. Quand elle se met à pleurer, et à marmonner des reproches à son insu : j’hésite à la prendre dans mes bras. Aussitôt, cette idée est résiliée de mon esprit. Je déteste les câlins. Et même si je sais que ce geste de tendresse pourrait remontrer son moral, je m’abstiens. Kendall ne tarde pas à s’enfuir dans la pénombre, tandis que je reste immobile durant plusieurs secondes. De toute évidence, je suis un monstre. Je souffle profondément, jusqu’à remplir intégralement mes poumons d’airs.
— Tu sais que c’est mal d’être aussi méchant ?
Je me retourne immédiatement, et découvre que cette voix masculine appartient à un grand blondinet. Étrangement, j’ai l’impression de l’avoir déjà vu auparavant… Quel est son nom ? Je ne m’en souviens que brièvement. Lulu ? Lucas ? Lucky ?
— Qu’est-c’tu veux ? Évite de me chercher ou j’te jure que je vais t’assommer par terre, affirmé-je en gardant cet air froid et méprisant.
— Du calme, je viens en paix ! Tu te souviens de moi ? Luke… celui que tu voulais tabasser quand on était chez Pearl. Ça te dit quelque chose ? me sourit-il.
Je m’approche de lui, avec la volonté de l’effrayer, grâce à mon joli poing qui meurt d’envie de s’écraser dans sa face. Alors que je m’apprête à passer à l’action, deux filles viennent m’interrompre. Oh, merde. J’y étais presque ! Je grogne, avant d’analyser l’identité des deux nouvelles personnes venant d’arriver. Il s’agit de Pearl – par ailleurs, maudite soit-elle – et son amie, Chrissy. Je souffle, et décide de me barrer d’ici, en prenant soin de ne pas annoncer mon départ.
Une main s’agrippe à mon bras, mais je me détache directement de cette emprise. Je suis certain qu’il s’agit de Pearl, et c’est notamment pour cette raison que je n’arrête pas de marcher jusqu’à mon véhicule. Cette fille est constamment là pour surveiller mes moindres gestes. Ça en devient pratiquement du harcèlement. Pourquoi se donne-t-elle tant mal pour s’assurer que je ne meurs pas ? À ce que je sache, bien qu’elle se doit de me protéger, c’est à sa mère de le faire et non à elle.
— DEVON ! Au pied ! crie-t-elle pour me stopper.
L’effet est immédiat. Je virevolte vers elle, avec ce visage exprimant la phrase : je rêve ou tu viens de me prendre pour un clébard – encore une fois ? Pearl s’avance à mon égard, alors que je n’exprime rien d’autre que de l’ennui. Je fixe intensément ses yeux, et finis par prendre la parole :
— Je ne suis pas un chien ! protesté-je. Tu vas me faire chier encore longtemps ?
— Oh que oui ! Ce n’est pas en volant ma voiture, et en échappant à ma vigilance que je vais te laisser tranquille, sous prétexte que tu n’es pas d’humeur ! J’en ai marre, Devon. Marre que tu veuilles TOUJOURS fuguer ! Depuis le début du programme, tu as été attaqué DEUX putains de fois. Tu t’en rends compte ?
— Et alors ? Arrête de me protéger, ça sera plus simple.
Elle ronchonne, murmure des mots incompréhensibles et roule les yeux vers le ciel.
— Ça n’a rien de simple, Devon !
— Crois-moi, ça l’est. Il suffit que tu renonces à ta mission à la con, et basta. Tu sais quoi, Pearl ? Tout ce que tu fais en essayant de me protéger, c’est inutile. Tu ne sers à rien, accusé-je sèchement. Quoi que tu fasses, tu ne seras pas à la hauteur.
Sur le coup de la colère, je ne mettais pas rendu compte à quel point mes paroles sont blessantes. En particulier, ma dernière phrase qui ressemble quelque peu aux mots d’Elena lors de ma fête surprise. À cette soirée-là, Pearl a été véritable offensée. Dès le moment où je vois son visage éprouvant un sombre chagrin, je sais que j’ai merdé.
Malgré toutes les fois où je dédaigne durement la qualité du programme de protection de témoins, je dois admettre qu’Elena et Pearl ont fait un excellent travail. Si j’avais été avec un autre flic, je suis prêt à parier que je me serais enfui pendant plusieurs mois, histoire d’emmerder tout le monde.
— Pearl… Je suis vraiment…, commencé-je, avec l’intention de m’excuser, mais elle me coupe presque immédiatement la parole.
— Ne t’excuse pas. Tu as raison. Je suis incapable de te protéger correctement, et c’est pour ça que… J’abandonne. Tu as gagné, Devon. À partir de maintenant, tu n’auras plus à me supporter. C’est ce que tu voulais, non ?
Suite à ses mots, j’ouvre la bouche pour riposter, mais elle me devance en partant en direction de la voiture de Luke et Chrissy. Oh shit ! J’essaye de la rattraper, en vain. Mon temps de réaction a été beaucoup trop lent – de plus, elle court vraiment vite ! Aussitôt, je monte sur ma moto avec pour destination : la maison des Hopkins. Lorsque j’arrive à l’endroit tant convoité, avec plusieurs minutes d’avance, j’attends impatiemment Pearl.
Et plus les minutes passent, plus je me rends à l’évidence qu’elle a dû partir quelque part d’autre. La connaissant : je sais qu’il ne s’agit pas d’un bar ni d’une soirée étudiante. Une hypothèse s’installe dans mon esprit : peut-être chez Luke. Argh. Je prends en main mon bipeur, et appuie sur le bouton rouge. Au moins, comme ça, ce machin-bidule-chouette ne servira pas à rien !
Comme prévu, une voiture noire se gare dans l’allée pour y déposer notre heureuse perle. (Notez le sarcasme) Le bonheur ne se voit pas vraiment sur sa tête. À vrai dire, Pearl est plutôt affolée. A toute vitesse, elle se dirige vers moi et puisque je suis assis par terre, celle-ci est de taille à pouvoir prendre mon visage dans ses mains. Je devine facilement son but : elle cherche une égratignure.
— Est-ce qu’ils sont venus ? bredouille-t-elle.
— Nah, déclaré-je. Tout va bien. C’est juste que j’aie appuyé sur le bipeur pour que tu m’ouvres la porte.
Et c’est là que je me prends une violente gifle en pleine gueule ! J’aurais dû m’y attendre… Elle me fusille du regard, déverrouille la porte d’entrée et monte les escaliers, en n’oubliant pas de lâcher un « va te faire foutre » entre-temps. Je roule intentionnellement des yeux, et me rends à mon tour à l’étage en découvrant que Mini-Hopkins s’est enfermée dans sa chambre.
— Pearl, ouvre-moi, grommelé-je avec lassitude.
Aucune réponse.
— Je sais que tu es à l’intérieur, alors laisse-moi entrer. Sinon, je vais toquer à ta porte juste pour t’énerver, fulminé-je.
Double vent. Outch.
— Comme tu le voudras.
Je m’adosse à sa porte, et me glisse, jusqu’à ce que mon fessier touche le sol. L’arrière de ma tête touche la porte en bois. Et puisque j’en ai fait la menace, je mets en élévation mon poing.
Toc. Toc. Toc.
Je ferme les paupières. Et bien que je sois persuadé que Pearl ne risque pas d’ouvrir cette satanée porte, les petits fracas de mon os contre l’ouverture de la chambre résonnent continuellement.
Toc. Toc. Toc.
Les minutes s’écoulent lentement.
Toc. Toc. Toc.
Si lentement.
Toc. Toc. Toc.
Je sais pertinemment que ceci est qu’une perte de temps, mais honnêtement, je n’en ai rien à faire. Ça m’est entièrement égal, dès à présent.
— J’en ai assez de jouer les anges gardiens.
La voix de Pearl retentit. Je cherche quelque chose à répondre… Échec total. Que pourrais-je dire maintenant, hein ? Je ne sais pas ! Merde alors… Voyons voir, réfléchissons ! Ah, j’ai trouvé !
— Je sais me défendre tout seul, tu le sais ça ? Tu n’es pas obligé de me veiller sur moi h24, rétorqué-je en mettant une fois de plus ma tête contre la porte.
— Et si tu meurs, qu’est-ce que je fais ? questionne-t-elle instantanément.
— Je ne compte pas mourir avant un moment, alors ne t’inquiète pas, la rassuré-je en devinant qu’elle vient également de s’adosser contre la porte.
Un silence s’installe. Bizarrement, cette insonorité n’oppose aucun malaise. C’est plutôt le contraire. Un sentiment de calme s’empare de moi. Nous n’avons pas besoin de parler pour rendre la situation agréable.
— Au fait, pourquoi tu n’as pas voulu te battre avec moi ? interroge-t-elle.
À l’entente de cette question, je déglutis légèrement avant de répondre :
— J’n’en sais rien.
Devrais-je considérer ceci comme un mensonge ? Peut-être bien. Vous et moi savons pertinemment que je n’ai pas accepté ce combat : tout simplement, parce que je suis inapte à frapper cette fille. Pourquoi ? Je présume que dans les profondeurs de mon être diabolique, je n’ai pas très envie de blesser Mini-Hopkins.
Dois-je en conclure que j’ai un cœur ? Oh, c’est la révélation de l’année !