CHAPITRE 20
Elle me regarde si intensément que ses yeux verts me paraissent presque incandescents. Cette fille est tout autant intrigante que la chieuse. Lorsque je descends de mon véhicule, Thalesi ne tarde pas à s’approcher de moi. D’après les traits de son visage, ma question ne l’a pas laissée indifférente. Elle connaît Black : ça sonne comme une évidence.
— Est-ce que Pearl sait que tu es ici ? me demande-t-elle en continuant de me fixer comme si je suis originaire d’une autre galaxie.
— Non, dis-je sèchement. Maintenant, réponds à ma question.
À mon plus grand étonnement, Thalesi persévère à me fixer de manière indéfinissable. C’est comme si elle essayait de décrypter mes intentions à travers mon regard. Malheureusement pour elle, quelque soit la situation, je ne laisse jamais transparaître mes sentiments à la vue de tous. Il est impossible que Thalesi sache qu’au plus profond de mon être, je considère ce mystérieux Blake comme une véritable menace. Ce type m’angoisse. Vraiment.
— Je ne te dirais pas qui est Blake, ajoute-t-elle dans le plus grand des calmes.
— Quoi ?! Tu as intérêt à– commencé-je à dire.
— Je ne te dirais pas qui est Blake, répète-t-elle en amplifiant davantage mon agacement. (Quelle connasse !) Tout simplement, car tu le sauras d’ici peu. Ça ne sert à rien que je réponde à ta question, Devon. Tôt ou tard, que tu le veuilles ou non, tu feras la connaissance de Blake.
Être confronté à Blake ne m’enchante pas, mais alors pas du tout ! Je ne connais pas ses capacités physiques. Et ça m’agace. Il faut absolument que je sache qui c’est. L’ignorance me ronge considérablement de l’intérieur.
— Mais, putain ! C’est qui ce mec ? m’écrié-je en souhaitant des réponses plus concrètes.
— Ton ennemi, fit Thalesi en souriant brièvement. (Elle se fout de ma gueule là ! Je vais lui faire bouffer son putain de sourire si elle continue à me prendre à la légère.) Voilà tout.
— Dis-moi au moins ce qu’il a fait à Pearl ! réclamé-je en serrant fermement les poings.
— Oh… Par contre, ça, je n’en ai pas la moindre idée.
Son sourire à la con s’agrandit. C’en ait trop. Elle veut clairement me provoquer. Je ne vois pas d’autres hypothèses plausibles. Avec rage et vivacité, je saisis brutalement le col de sa veste. Je peux distinctement entendre la vitesse à laquelle son cœur s’est accéléré. Voyant ma colère, Thalesi se retrouve pétrifiée de peur.
— T-Tu ne va pas me faire de mal, hein ? bégaye-t-elle avant de reprendre. Je suis une fille !
— Réponds à mes questions, bordel, lui craché-je tout en resserrant mon emprise.
— Blake est une personne dangereuse, ça te va maintenant ? rouspète-t-elle en se dégageant rapidement de moi, avant de remettre sa veste en place.
— Quel est son lien avec Pearl ? interrogé-je.
Elle m’observe avec mépris, et décide de tourner les talons. Euuh… Quoi ? Qu’est-c’qu’elle fout ? Cette fille commence sérieusement à m’énerver. Lorsqu’il est question de me parler, ce type de comportement m’est inadmissible. Je n’ai pas envie de perdre mon temps avec des débats inutiles. Alors, soit elle crache le morceau, soit je passe à la manière forte : c’est-à-dire, les menaces.
— Hé, pétasse ! Je t’ai posé une putain de question, grommelé-je en prenant subitement son bras pour qu’elle se retourne.
— J’ingnore totalement ce qu’il s’est passé entre ces deux-là, merde ! Personne ne le sait, s’exclame-t-elle en haussant le ton. Si tu tiens tant à savoir la vérité, tu n’as qu’à demander à Pearl…
Elle se détache une nouvelle fois de mon emprise en occasionnant une force hallucinante, et s’éloigne pour s’aventurer dans les profondeurs de l’obscurité. Je resté là, debout au beau milieu de ce parking complètement vide, à la recherche d’un quelconque moyen de connaître l’exactitude des faits se déroulant entre Blake et Pearl. Bien évidemment, je ne compte pas soutirer des informations à Mini-Hopkins : pourquoi ? Tout simplement, car je sais que Blake est un sujet sensible. Ça serait vraiment inhumain de ma part de planter le couteau dans la plaie. Certes, je suis un gars dédaigneux, sans-cœur, presque démoniaque…. Mais, ça ne signifie pas que je suis capable de faire cela. Pearl a assez souffert. Le mieux que je puisse faire serait de fermer ma gueule.
C’est avec une colère infâme que je me dirige vers ma moto pour me rendre dans le hangar. J’ai réellement besoin de me défouler, et de simples matchs de boxe ne sont nettement pas suffisants pour apaiser mon humeur hargneuse. Il me faut des combats à mains nues. Autrement dit, je dois être confronté à une bagarre suscitant énormément de violence. L’idéal aurait été que mon adversaire soit Dark puisqu’il est le meilleur dans cette discipline, mais étant donné qu’il reste introuvable, je vais devoir me contenter de tabasser des challengers à la con.
Lorsque j’arrive à destination, je gare négligemment ma moto et entre à l’intérieur du bâtiment accueillant beaucoup de personnes. L’alcool coule à flots. Quand je me tiens au cœur de toutes les conversations à voix basse, Aaron ne tarde pas à s’avancer vers moi. Comme d’habitude.
— Hey, Devon… !
Je ne le laisse pas finir sa phrase, et prends soudainement la parole :
— Réserve-moi le ring, ordonné-je en serrant fermement mes poings. Maintenant ! J’ai besoin de me défouler sur quelqu’un.
— Pas de problème ! Tu veux te changer ? fit-il en me désignant les vestiaires.
Je balaye brièvement ma tenue du regard correspondant à une veste en cuir, un tee-shirt blanc et un jean noir. Ne désirant pas porter un short de boxe, comme me le propose Aaron, je lève les yeux vers lui.
— Je compte faire des matchs où tous les coups sont permis, craché-je en remarquant que son visage change subitement d’expression.
— Euh… D’accord. Je vais le dire au gérant ! Tu peux t’installer dans le ring puisqu’il est vide, me dit-il avant de s’orienter vers Garrix.
D’une démarche assurée, j’avance en direction du périmètre de combats sous les chuchotements de certains. Ils savent que je m’apprête à me battre, mais aucun d’eux n’est au courant que je ne suis pas là pour la boxe. C’est avec la mâchoire contractée que je monte sur la surface carrée étant désormais au centre de l’attention. À présent, plus d’une cinquantaine de paires d’yeux sont braquées sur moi. Malgré tout, je garde mon aisance déconcertante.
— Devon ! Ça fait si longtemps que l’on ne s’est pas vu !
Une voix féminine. Je baisse le regard pour découvrir qu’il s’agit de Kendall : en d’autres termes, petite-amie n°1. Un soupir s’échappe de mes lèvres au même moment où je retire ma veste. Sans qu’elle ne s’y attende, je balance mon habit sur sa tronche. Au moins, comme ça, elle me fera moins chier.
— Qu’est-ce que… ! dit-elle en retirant le tissu en cuir de sa tête.
— Ta gueule, lancé-je en enlevant mon haut pour optimiser mon confort.
Et sans préambule, je jette une de mes fringues dans sa face. Kendall se contente de rester muette. Elle sait pertinemment qu’il vaut mieux ne pas m’énerver. J’échauffe mes muscles pendant que l’arbitre se prépare. Au bout d’une dizaine de minutes, un homme dépourvu de cheveux débarque dans le ring avec un micro. Le public est tout ouï.
— Par la demande exclusive de Devon, les combats seront différents. Tous les coups seront permis. Toutefois, sachez qu’aucune arme à feu et objets tranchants ne sont acceptés ! Et que le match se termine, si et seulement si, le dominateur accorde le décompte, déclare le laideron.
Les discussions à voix basse augmentent en tonalité.
— QUI SOUHAITE S’OPPOSER À CE GARÇON AYANT REMPORTÉ PLUS DE SOIXANTE MATCHS À SON ACTIF ? suggère l’arbitre en criant presque.
Un silence s’installe. Les personnes se regardent. Et un suicidaire se porte volontaire sous les encouragements de ses amis. Je le dévisage rapidement. Un petit maigrichon, avec une tête assez banale. Rien de très surprenant. Auburn bouclé et les yeux verts émeraudes. Son physique n’est pas à couper le souffle – contrairement à moi.
J’analyse davantage son apparence : il est incontestablement tremblotant. Pathétique. Je suis pratiquement sûr qu’il est devant moi uniquement parce qu’il a voulu jouer le thug face à ses potes. Quel enfoiré ! Il me sous-estime ouvertement. Bordel de merde. Qu’est-ce qu’ils ont tous à penser pouvoir me battre avec leur corps de lâche ?! Espérons que cette fois-ci, ce gamin n’est pas lié à des motards. Cela m’éviterait d’avoir des représailles !
— Bien ! Vous êtes prêts ?
Je secoue vigoureusement de la tête, avant de fusiller scrupuleusement mon concurrent. Les battements de mon cœur s’accélèrent légèrement : et mon adrénaline coule en abondance dans mes veines. Je suis indéniablement résolu à donner une sacrée raclée à ce merdeux. À la place de l’imaginer comme étant Keegan, mon esprit essaye de le visualiser comme étant Blake – bien que je n’ai jamais vu ce dernier.
— QUE LA BASTON COMMENCE ! signale l’arbitre en prenant soin de partir hors du ring afin que les premiers coups ne l’atteignent pas.
En guise de précaution, je me mets dans une position de défense avec la vive volonté de rendre ce match sanglant. Lorsque l’on se mesure à moi, il faut s’attendre à se livrer à une lutte féroce. Et visiblement, mon adversaire le sait. Comment je le sais ? Eh bien, vous n’avez qu’à voir ses membres fébriles ainsi que ses traits déformés par la peur. Je peux parfaitement discerner ses pensées : il regrette. Au fond de lui, il aimerait s’enfuir loin d’ici, mais cet acte de lâcheté ne peut pas être pardonné par son nouveau groupe d’ami. Je suis certain qu’il vient tout juste d’arriver en ville, et c’est pourquoi il souhaite gagner de l’estime face à ses compagnons d’école.
Pff. C’est tellement lamentable. J’arrive à déchiffrer ses traits de caractère et sa situation sociale avec une facilité alarmante. Cet adolescent en phase puberté est comme un livre ouvert… Sérieusement, c’est carrément minable.
— Qu’est-c’tu fous ? dis-je sèchement lorsque je me rends à l’évidence qu’il ne compte pas m’attaquer aveuglement.
À l’entente de ma voix, il recule d’un pas. Je ris malicieusement. En plus d’être misérable : c’est un peureux. Putain de merde. J’en ai marre. C’est la goutte qui a dépassé le vase. Les gens ne comprennent toujours pas que je déteste être sous-estimé. Or, être dans un affrontement avec ce gamin : c’est franchement humiliant. Il est temps que ça change. Et que mes rivaux ne soient plus aussi incompétents.
À cet instant précis, la colère envahit chaque parcelle de mon être. Je m’avance dangereusement à l’égard du bouclé, avec la ferme intention de mettre en garde tous mes futurs ennemis.
— Ne faites pas ça… Je vous en prie, supplie-t-il dans un murmure.
Oh, ses mots me bouleversent. Il me demande si gentiment de ne pas lui foutre un poing dans sa gueule. Ses beaux yeux verts me revendiquent de l’aide… Je ne vais quand même pas le frapper, hein. C’est juste un lycéen naïf… Ça serait méchant de le faire souffrir, vous ne trouvez pas ?
Mes phalanges écrasent brutalement ses pommettes provoquant un bruit fracassant. L’attaque fut si violente que sa tête a été propulsée vers la gauche. Le public est bouche bée. Profitant de la faiblesse de mon opposant, je lui donne une frappe sous son menton, et un coup de genou contre sa partie intime. Il se contorsionne par la douleur. Deux de ses amis tentent de l’encourager, en vain.
— Hé, vous deux ! grogné-je en infligeant un dernier crochet du droit dans le ventre de l’autre crétin.
— Moi ? fit le copain de mon adversaire.
— Ouais ! Poil de carotte et toi, montez sur le ring et essayez de me battre où je tue votre pote, proposé-je.
Ils se crispent, et après quelques secondes de réflexion, les deux garçons entrent dans le périmètre de combat sous les regards confus des spectateurs. L’arbitre n’intervient pas, et c’est bien comme ça.
— Trois contre un ! Que ça serve de leçon à tous les crétins qui osent m’affronter. Je ne suis pas qu’un simple combattant, rétorqué-je en m’adressant aux publics.
Aussitôt, le rouquin se précipite pour m’attaquer. Couillon… Je saisis sa main de manière à broyer de justesse ses os : ainsi, il gémit de douleur. Son ami vient à la rescousse, mais manque de bol, je pousse son acolyte droit devant lui. Résultat : leurs corps entrent en collision. Ils se relèvent, et cours vers moi. Et moi qui pensais que ces deux-là étaient forts… Les apparences sont parfois trompeuses ! Je recule rapidement jusqu’à ce que j’atteigne les cordes délimitant le ring, et fais une pression. Quand poil de carotte se tient à une distance approximativement correcte, je bondis brusquement vers celui-ci. Et puisque son binôme était derrière lui, ils tombent douloureusement à la renverse. Son coude heurte la cage thoracique du roux.
Rapidement, je me lève. Et saute sur les deux corps : arrachant au passage, plusieurs cris. Le bouclé arrive finalement à reprendre ses forces, et revient à la charge en s’élançant vers moi. J’esquive, et l’assène d’une multitude de torgnoles. En même temps, j’écrabouille le visage de mes deux autres concurrents.
Malheureusement, boucle marron – qui plus est, sévèrement amoché – parvient à atteindre mon visage. Il me donne plusieurs baffes, et ses potes en profitent pour se relever. Oh merde. Je ne peux pas être dans un état de faiblesse devant tous ces gens. Je ne veux pas ! D’un geste brusque, je cogne mon front contre celui de mon compétiteur, et essuie d’un revers de la main le sang s’étant déposé sur ma lèvre – à présent, brièvement écorchée.
Un gars plante ses dents dans mon bras lorsque j’étrangle le brun, malgré sa morsure, je continue mon attaque. Le teint de ma victime vire au rouge pivoine provoquant la panique du roux. Je lâche mon emprise, et le corps s’effondre au sol. La fureur qui règne en moi griffe le type qui s’est mis à me mordre. Quel cinglé ! C’est dégueulasse.
Alors que poil de carotte s’occupe de son ami, je décide de m’attarder sur le mec qui s’est cru pour un chien. Je me dirige vers lui, et lorsque nous sommes côte à côte : immédiatement, je paralyse sa jambe avec un coup sur la cuisse, et tape fougueusement sa côte droite. Il se tord de souffrance. Mais, ce n’est pas pour autant que je m’arrête là, une vive claque de ma part le met à terre. Abruti va.
Bon, il reste le dernier ! Je prends de l’élan, et balance mon pied dans sa face. Puisqu’il est accroupi, ceci m’arrange grandement. Je m’approche, me baisse et saisis son col. Il est terrifié, apeuré, épouvanté.
— Je suis Devon, ne l’oublie pas. Connard, soufflé-je avant de l’infliger un uppercut sidérant.
Il tombe, et je me redresse. Les gens m’applaudissent pour montrer leur admiration, tandis que je me contente de cracher par terre. Tant de propreté, n’est-ce pas ?
Je donne l’accord à l’arbitre pour faire le décompte, et commence à regarder les alentours.
— LE VAINQUEUR EST DEVON !
Je me dirige vers les cordes du ring : là où se tiennent Aaron et Kendall. Sans plus tarder, je saisis une gorgée de la bouteille d’eau d’Aaron, avant de jeter un coup d’œil vers mes concurrents étant en train de se faire transporter hors de la foule.
— C’était vraiment un bon match ! affirme le brun en souriant. Je trouve ça cool que tu ne prolonges pas le combat pour les tabasser jusqu’à qu’ils vomissent leurs entrailles !
— Peut-être que je le ferais au prochain match, rié-je sadiquement.
— Quoi ? Tu comptes encore te battre alors que tu saignes ? s’exclame Kendall avec stupéfaction.
— Ouais, et alors ?
Elle ouvre sa bouche, mais la referme – signalant ainsi qu’elle est à court de repartie. Je me concentre à nouveau sur mon nouveau match, et contracte mes muscles. Je prends de profondes inspirations. L’arbitre revient en place. Et c’est reparti pour un deuxième round…
— DONC, QUI VOUDRAIT– ? commence-t-il, mais quelqu’un lui coupe la parole.
— Moi !
C’est une voix de fille qui résonne. Attendez, quoi ? Dès à présent, tous les regards sont rivés sur la fameuse personne souhaitant se bagarrer avec moi. Mes yeux s’écarquillent telles deux soucoupes. Elle monte sur le ring sous les sifflements dragueurs de plusieurs gars – ceci me donne des envies meurtrières.
Voulez-vous savoir le nom de ma future concurrente ?
Eh bien, c’est simple. Il s’agit de Pearl Hopkins.