CHAPITRE 18

J’EXIGE QU’UNE PERSONNE ME RETIENNE DE DONNER UNE RACLÉE À CE BÂTARD ! Bordel de merde. Il m’énerve, énormément : avec son sourire à la con et son regard de couleur vert caca. Ce mec détient la fâcheuse tendance de m’agacer. Il n’est pas net. C’est certain !

Je peux parfaitement distinguer ses intentions malsaines : il essaye d’embobiner les Hopkins en les couvrant de compliments et de cadeaux hors de prix. Quel enfoiré ! Il est impensable que je puisse être corrompu par de simples objets. Ce n’est pas avec ça qu’il pourra m’amadouer. Oh que non ! Après tout, je suis Devon.

— Tu es vraiment sûr ? Cette montre est pourtant jolie, annonce Keegan en s’asseyant sur la chaise face à moi.

Il ne manquait plus que ça, putain. Je vais devoir supporter sa tronche pendant tout le long de ce foutu dîner ! Quelques jurons s’échappent de mes lèvres tandis que je lance un regard qui en dit longuement sur ma haine à son égard. Je le déteste. Keegan souffle en regardant mélancoliquement la montre qu’il s’apprêtait à m’offrir. Je vais te faire bouffer ta putain de montre, tu vas voir ! Abruti va.

— Bon, continue Keegan en rangeant sa montre valant probablement une somme indécente. À ce que je vois, tu es timide. Pourquoi tu ne veux pas que l’on apprenne à se connaître ?

Son sourire hypocrite envahit son visage. Il déconne là, non ? C’est vraiment la blague de l’année. Premièrement, je ne suis absolument pas timide. Deuxièmement, je ne veux pas le connaître. Et troisièmement, sa présence me donne des envies meurtrières.

Pour le moment, je ne l’ai encore pas parlé. À chaque fois qu’il tente d’engager la conversation avec moi : soit je lui fais un doigt d’honneur, soit je l’ignore. Et je pense que c’est inutile de remarquer que mon comportement méprisant ne plait pas à Pearl, mais alors, pas du tout ! Alors que je m’apprête à prendre la parole pour lui dire qu’il aille se faire foutre, la porte s’ouvre, laissant découvrir Hopkins et Mini-Hopkins.

— Le repas est prêt ! s’exclame Elena avec un enthousiasme irritant.

— Ça a l’air délicieux, sourit machin-bidule-chouette.

Quel lèche-cul ! Je grogne intérieurement en m’enfonçant davantage sur ma chaise. Vivement que ce dîner se termine, et que ce salopard s’en aille. Je n’attends que ça !

— Oh, que c’est gentil de votre part, Keegan ! remercie-t-elle en rougissant avant de continuer. Ça me fait tout drôle de vous voir à cette table ! Ah, la la… Le bon vieux temps.

Minute papillon. Depuis combien de temps ce blondinet connait la famille Hopkins, au juste ? Putain, ça s’annonce mal, vraiment mal.

— Vos succulents plats m’ont terriblement manqué, rie-t-il. (Va te faire foutre, petit con !) Vous êtes la meilleure cuisinière que je connaisse.

Dans ce cas, il ne connait pas beaucoup de cuisinières ! Elena est flattée par ses douces paroles n’étant qu’un futile stratagème pour gagner sa confiance. Je serre les poings, avec les yeux rivés sur mon assiette : purée de concombre amer accompagné d’un coulis de fruits rouges. Mais, c’est dégueulasse ! Elle veut ma mort ou ça s’passe comment ? Je prends une gorgée d’eau en espérant que cela me donne du courage.

— Mh ! C’est tout bonnement exquis. Cette saveur me ramène sept ans en arrière, lorsque je passais mes vacances d’été dans votre maison ! dit l’enculé.

Et c’est automatique, je crache brusquement l’eau se tenant dans ma bouche. Bien que j’aurai voulu que le liquide atterrisse sur Keegan, ça n’est malencontreusement pas le cas.

— AH, PUTAIN ! DEVON, hurle Pearl en se levant de la table.

— Oups, fis-je.

— Sérieusement ? Tu pourrais t’excuser quand même, crie-t-elle avec fureur.

Moi, m’excuser ? Jamais.

— Calme-toi, Pearl. Ce n’est que de l’eau, lance Elena en roulant des yeux. Maintenant, assis-toi.

Pearl hésite quelques secondes, murmure des mots incompréhensibles, et finit par s’installer sur son siège. Je sens que cette soirée va être longue… ! Et puisque je n’aime pas ce plat, contrairement à Keegan, mon assiette est restée intacte – à un détail près – je me suis amusé à remuer la purée à l’aide de ma cuillère.

— Bah alors, Devon. Tu ne manges pas ? me demande une voix masculine.

Je lève les yeux vers lui. Mes muscles se durcissent, et ma mâchoire se contracte. De quel droit il se permet de m’adresser la parole ? Pitoyable. Je le maudis. Lui et ses manies de me prendre à la légère. Je pourrais très bien le clouer le bec : là, maintenant. Mais, je m’abstiens. Il est préférable que je sois calme dans ce genre de situation. C’est pour cette raison que je me lève de mon siège, sous les regards ahuris de tous, et m’oriente vers la cuisine.

— Devon, qu’est-ce qui t’arrive ? interroge Elena.

Sur le coup, je songe à l’ignorer… Mais, en y repensant, si je fais cela, il est évident qu’elle va me poser des questions. Après maintes réflexions, une réponse résonne de ma part :

— Je n’ai pas faim.

À ses mots, je franchis un pas pour m’éloigner de la salle à manger. Lorsque j’arrive dans la cuisine, je ne tarde pas à jeter le contenu de mon plat dans la poubelle, et de mettre la porcelaine dans levier. Étrangement, mon ventre ne crie pas famine. J’imagine que la vue de ce blondinet m’a coupé mon appétit.

Lorsque des éclats de rire se font entendre, un sentiment d’exaspération s’engouffre en moi. Je grimace légèrement avant de m’avancer vers le salon. Comme à mon habitude, je m’avachis sur le divan. Et c’est à cet instant que mon regard s’arrête sur mon tee-shirt blanc.

Je vous vois déjà venir avec vos réactions démesurées : DEVON PORTE UN HAUT CHEZ LES HOPKINS ? Eh bien, oui, c’est le cas. Et aussi étonnant soit-il, même si c’est difficile à admettre, j’ai voulu faire bonne impression face à ce Keegan. Au fond, je le considère comme une véritable menace. Il n’est pas aussi moche que j’aurais espéré.

Mais, bon. C’est maintenant que je me rends compte que ça ne sert strictement de faire de bonne figure et de prétendre être quelqu’un que je ne suis pas. Autant rester moi-même, hein. À grandes enjambées, je vais dans ma chambre pour enfiler un jogging noir. Et d’un geste rapide, j’enlève mon tee-shirt pour le projeter à l’autre bout de la pièce. Pour couronner le tout, avec mes mains, je mets mes cheveux en batailles pour obtenir un look négligé.

Devon est de retour.

C’est avec les mains dans les poches, une démarche décontractée, et un regard ténébreux que je retourne dans le salon. Et vous savez qui je vois tranquillement assis sur le sofa ? NON ! Pour la énième fois, ce n’est pas Shrek et Angelina Jolie. Il s’agit de Keegan. Ce salaud. Je me place devant lui pour le dominer de ma taille.

— Tiens, Devon. Te voilà ! déclare-t-il d’un air beaucoup trop joyeux à mon goût. Pourquoi es-tu torse nu, au juste ?

J’ouvre la bouche pour l’insulter, mais il m’interrompt :

— Au fait, Pearl est vraiment en rogne contre toi ! Tu devrais t’excuser. Avec ton manque de tact, tu pourrais la blesser, alors il va falloir que tu changes vite de comportement. Tes parents ne t’ont jamais appris la politesse ?

— Ferme-là, craché-je en le fusillant du regard.

— Figure-toi que non. Je ne vais pas fermer ma bouche ! Surtout si c’est pour un voyou dans ton genre.

— Évite de m’énerver, lâché-je calmement, et aussitôt, il roule des yeux.

— Oh, est-ce une menace ?

— Peut-être bien.

Il se met à rire, tandis que je canalise cette forte envie de l’étrangler. Il est clair que ce type veut que je me mette en rogne. Pourquoi ? Je n’en sais rien.

— Dis-moi, Devon… Comment vont tes parents ? demande-t-il avec ce sourire narquois scotché sur ses lèvres.

Ils sont morts, putain.

Une part de moi est persuadée qu’il est au courant de mon passé, et que, d’une manière ou d’une autre, ça serait débile que je m’en prenne physiquement à lui. C’est pour cela que je serre les dents, tourne la tête, avec la volonté de me barrer. Néanmoins, quand je m’apprête à m’éloigner, Keegan chuchote quelques mots qui ravivent immédiatement une colère intense dans chaque parcelle de ma peau :

— Espèce de fils de pute.

Mes yeux s’écarquillent telles deux soucoupes. Fils… de pute ? C’en ait trop. Mon poing s’écrase brusquement au creux de sa joue, et à mon plus grand étonnement, il ne gémit pas de douleur. En fait, il sourit. Du sang s’écoule de ses voies nasales, mais il ne semble pas y prendre compte.

— Oh, mon bouddha ! DEVON ! ajoue la lieutenante Hopkins en débarquant dans la pièce.

— Mais, qu’est-ce qui te prend de faire ça ? s’écrie Pearl en me fixant d’une façon indéfinissable.

Je recule d’un pas au même moment où un tourment de pensées envahit mon esprit. Oh, merde. Je suis tombé dans son piège. Il ne fallait pas que je cède à mes pulsions. J’ai un mauvais pressentiment. À cet instant précis, mon cœur se met à battre à une vitesse anormalement vite. Pendant qu’elles se précipitent vers Keegan, ce dernier simule une douleur alarmante afin d’attiser l’inquiétude des deux Hopkins.

— J’ai mal, aah ! se geint-il en mettant ses mains sur son nez. Doux Jésus, je saigne !

Elles n’y voient que du feu à son jeu d’acteur. Je grince des dents, sachant pertinemment que ce gars joue la comédie. Quel est son but, bon sang ? Ça n’a aucun sens. Il m’est impossible d’expliquer son rictus diabolique. Tout ce que je sais : c’est qu’il est étrange. Je ne le sens pas ce type, et ce, dès l’instant où j’ai posé les yeux sur lui.

Vous devez sûrement vous dire que j’invente tout un tas de scénarios, et que, Keegan est une personne normale, non ? Eh bien, navré de vous l’annoncer, mais vous avez complètement torts.

— Jeune homme, viens avec moi ! se lève Elena en me tirant le bras pour m’attirer dans la cuisine.

Ne voyant pas l’utilité, je n’entreprends aucun signe d’opposition. Comme d’habitude, je garde une attitude de désinvolture. Je roule des yeux, soupire, et m’assois sereinement sur une chaise. Pendant ce temps, l’officière s’assure à ce que la porte soit close. Je prévois déjà ses paroles : elle va me reprocher d’être violent, ainsi qu’irresponsable. Honnêtement, ce genre de tirade là : j’en ai rien à foutre. Je ne regrette pas d’avoir frappé Keegan, seulement d’être rentré dans son satané manège.

— Qu’on soit bien clair, ne compte pas sur moi pour m’excuser auprès de ce connard. Alors– commencé-je, mais elle me coupe la parole.

— Joli crochet du droit !

Elle sourit de toutes ses dents, tandis que je reste sur le cul. Hein ? Je rêve ou une lieutenante de police vient de me complimenter pour avoir cogné sur un enfoiré ? – oups, encore une fois, je voulais dire invité. Alors là, vous m’avez perdu. Je ne comprends rien du tout – en fait, ça ne change pas de tous les jours.

— Ce petit vaurien mérite amplement une correction, me lance-t-elle en s’asseyant à proximité de moi. Alors, ne t’inquiète pas pour ça, je ne vais pas t’ordonner de lui demander pardon.

— Attends, je pensais que tu l’aimais bien ! m’exclamé-je en étant perplexe.

 Argh, non. Il m’insupporte ! Crois-moi, lorsqu’il est parti en Californie deux ans plus tôt, ça a été une pure bénédiction. Je n’avais plus à faire des dîners immondes pour le faire fuir, révèle-t-elle.

— Wow. Je ne m’attendais pas à ça, sérieux, rétorqué-je.

Je suis encore étonné par cette révélation. C’est du moins… inattendu. Je croyais réellement qu’Elena appréciait Keegan ! Enfin, je veux dire… ceci semblait être une évidence. Son sourire n’avait pas l’air si faux, et elle paraissait sincèrement toucher par ses compliments à deux balles.

— Mince. Pearl va sûrement se douter de quelque chose… Il faut que je te crie dessus pour qu’elle pense que je te fais la morale ! fit Elena en écarquillant les yeux.

— Ah ouais… Bah, tu n’as qu’à dire que je dois cesser d’être insolent et voilà quoi, à toi d’user ton imagination pour le reste, proposé-je, et elle acquiesce vigoureusement de la tête.

— DEVON MAXWELL, CESSE D’ÊTRE INSOLENT ET… VOILA QUOI ! hurle-t-elle.

Je passe ma main sur mon visage avec frustration. Après avoir soupiré un bon coup, je lui fais signe de continuer. Une simple phrase n’est pas plausible. Pour que Pearl y croit, sa semonce doit être beaucoup plus longue.

— LA VIOLENCE NE RÉSOUT PAS LES CHOSES, DONC TU NE PEUX PAS T’EN PRENDRE À QUELQU’UN SOUS PRÉTEXTE QUE C’EST UN ABRUTI. SE BATTRE N’EST PAS LA SOLUTION ! proteste-t-elle avec conviction. (Elle commence à s’améliorer : et à détruire mes tympans.) TU DOIS ÊTRE RESPECTUEUX ENVERS LES AUTRES… ! POURQUOI ES-TU DEVENU SI MÉPRISANT, HEIN ? ÇA NE MÈNE À RIEN. ÊTRE INSENSIBLE FACE À TOUT EST UN DÉFAUT.

Bien au contraire, être insensible est une force. Grâce à ça, nous ne pouvons pas être blessés émotionnellement parlant. Et puis–

Soudainement, Elena me gifle. Le bruit de cette frappe résonne dans toute la pièce. Bordel. Il fallait que je prévoie ça. J’effleure ma main contre ma joue étant probablement rougeoyante désormais.

— Désolée, j’y suis peut-être allée un peu trop fort. Tu veux de la glace ? déclare-t-elle en baissant le ton de sa voix pour que je sois le seul à pouvoir l’entendre.

— Non, ça va aller.

Je me lève de ma chaise, souffle profondément et contourne l’îlot central pour aller vers l’armoire contenant le paradis : en d’autres termes, les gourmandises sucrées. Avec ravissement, je prends possession d’une boite de cookies sous les regards désapprobateurs d’Elena.

— Ne te goinfre pas de sucrerie. Je n’ai pas envie d’annoncer à ta tante que tu es devenu diabétique.

Je ne prends pas attention à ses paroles, et saisis tranquillement une brique de lait dans le frigo. Pour un confort maximal, je m’installe à nouveau sur ma chaise, et pose tous mes objets sur la table.

— Je sais que t’en veux, n’est-ce pas ? rié-je en voyant qu’Elena est en train d’observer intensément un cookie aux pépites de chocolats.

— Après ce repas dégoûtant, bien sûr que j’en veux ! me dit-elle en entamant rapidement ce petit biscuit sec et rond originaire des États-Unis.

Je ris, et remplis les deux verres avec du lait. Bizarrement, lorsque je ne vois pas la tête de l’autre con, mon appétit est de retour. Quelle coïncidence ! D’ailleurs, quand j’y pense, ce dernier doit certainement être en compagnie de Pearl. Je me crispe à cette pensée. Il faut que je pense à autre chose !

— Mais au fait, pourquoi as-tu frappé Keegan ? demande Elena en ayant la bouche pleine.

Je serre les poings, avant de répondre :

— Il m’a provoqué.

— Vraiment ? Keegan n’est pourtant pas du genre provocateur. Il est plutôt attentionné et docile. Je n’ai jamais vu quelqu’un d’aussi gentil que lui, déclare-t-elle en buvant une gorgée de son verre.

— Dans ce cas, s’il est autant gentil, pourquoi tu ne l’apprécies pas ?

Je fronce les sourcils en constatant qu’elle hésite quelques secondes.

— C’est assez compliqué… Bien que je sais que c’est un garçon bien, je ne peux pas m’empêcher de le maudire intérieurement. Au début, je le trouvais adorable. Il dormait souvent ici, et passait son temps à jouer avec Pearl. À l’époque, il faisait un peu partie de la famille… me raconte-t-elle en parlant avec une voix extrêmement basse, sonnant presque comme un murmure. Mais, ça a changé. Dès le moment où j’ai vu sa deuxième facette qu’il commençait à maîtriser… J’ai tout de suite su qu’il pourrait être néfaste. Les années se sont écoulées, et mes doutes se sont avérés vrais.

— Sa deuxième facette ? répété-je avec confusion.

— Tu sais, Devon… Il existe des personnes différentes des autres… Des personnes menant une double vie. Ils font ça pour ne pas perdre eux-mêmes, en quelque sorte. Enfin, peu importe, rétorque-t-elle en faisant preuve d’un sérieux sidérant. Sache que les apparences sont trompeuses. Et que, même les personnes froussardes aux premiers abords peuvent être les plus dangereuses.

C’est louche tout ça. Ses propos ressemblent étrangement à un avertissement, stipulant clairement que je devrais me méfier de Keegan. Je hoche positivement de la tête en signe de compréhension, et bois mon verre de lait pour humidifier ma gorge étant extrêmement sèche. C’est alors que pour la deuxième fois de la soirée, je m’étrangle presque, avant de recracher ma boisson. Pourquoi ai-je fait ça ? Tout simplement, à cause des paroles d’Elena :

— Oh, je suis tellement une tête en l’air ! J’avais totalement oublié de te dire un léger détail… Il faut que tu saches qu’à partir de maintenant, Keegan habite ici pour une durée indéterminée.