005 ❄ Plan d’action
Dans la boîte métallique, Tobias découvre des sous-vêtements usés, quelques smartphones et un carnet rempli de petites-filles nues. Après une séance photo en guise de preuve, la boîte métallique reprend sa place initiale et Tobias recule d’un pas. Il fixe minutieusement les alentours afin de développer un plan.
Bien que sa mission consiste seulement à récolter des informations sur Marcus, Tobias n’est pas le genre à suivre les ordres à la lettre. Il est probablement le plus têtu des Anges-Gardiens. Et personne ne peut le contredire puisqu’il est le plus talentueux. Tobias prend donc un malin plaisir à déposer des asticots transparents sous les draps et quelques insectes dans la penderie du Cupidon Pédophile. Il sait que son chef ne le réprimandera pas, alors il en profite pour détruire la vie de Marcus de façon diabolique. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, Tobias ne fait pas ça pour punir Marcus. Non. Il le fait pour Billie et seulement elle.
Parce qu’en devenant son Ange-Gardien, Tobias est tombé sous son charme. Billie n’est pas peut-être pas extraordinaire, mais elle est authentique. Son existence est comme une bouffée d’air frais lors d’une nuit de canicule. Elle n’a pas toujours été dans de très bonnes situations, et ses Anges Gardiens le savent puisqu’ils ont été toujours là dans ses moments difficiles.
Malheureusement, le chef des révolutionnaires a été très clair : aucun Ange Gardien n’a le droit d’adresser la parole à Billie. En cas de violation de cette règle, la punition est particulièrement sévère et abusive, même Tobias n’est pas en mesure d’y échapper. Il se contente donc d’assurer les arrières de Billie en gardant son anonymat.
Bip. Bip. Bip.
Le bruit est quasiment inaudible, pourtant Tobias le détecte à la minute même. Il attrape le gadget pour chuchoter les mots suivants :
― Mission accomplie.
― Parfait, répond un révolutionnaire. Bon repos.
― Attends. Où est le moineau ? interroge Tobias avant qu’il ne mette un terme à la conversation.
― À la forteresse. Terminé.
Le gadget s’éteint et Tobias part de la chambre aussi vite qu’il est venu. Une fois de plus, les femmes de ménage n’y voient que du feu. Tobias est presque invisible, comme Billie en ce moment même. Elle est totalement mise de côté telle une petite crotte sur un trottoir sale. Zhai et Marcus sont tellement captivés par leur conversation qu’ils n’ont même pas remarqué les tentatives d’approches de Billie. Elle essaye de partager son avis, mais il n’est pas assez intéressant, donc ça ne mène pas à grand-chose hormis à un silence gênant.
Peut-être que si Billie était marrante, elle aurait eu plus d’amis.
― M. Raylend. Votre petit-fils est prêt, intervient un serviteur avec une tenue très élégante.
Tous les employés des Raylend, en dépit des gardes, sont vêtus d’un uniforme splendide doté de gris et de bleu. Le tissu, les chaînes métalliques, la forme des manches ainsi que du col évoquent une époque lointaine que Zhai a toujours admirée. Son confort est optimal. De même pour son efficacité puisque cet uniforme dissimule un bouton prévenant en cas de danger ou d’intrusion.
― NOM D’UN LINGOT D’OR ! Mais, c’est génial, déclare Zhai applaudissant pour montrer son euphorie. Cette journée démarre si bien, oh oh !
Lorsqu’il est question de son petit-fils, Zhai ne peut pas s’empêcher de prendre une voix étrangement aiguë dépourvue de crédibilité. Il faut dire que le milliardaire chérit Atlas plus que tout au monde. Il serait capable de se suicider ou de tuer quelqu’un pour Atlas – il serait même capable de perdre toute sa fortune et ses nombreuses renommées pour un simple sourire. Zhai est une personne gentille et attentionnée. Mais, ce n’est pas tout. Zhai peut se révéler très dangereux, parfois monstrueux, quand on s’en prend à sa famille.
Vous savez, les journaux parlent beaucoup du massacre des Raylend – mais pas du massacre des révolutionnaires. Des centaines de personnes ont péri dans des conditions abominables venant à l’encontre des droits de l’Homme. Pourtant : rien. Pas de preuves. Pas d’annonces dans les médias. Pas de rumeurs dans les ruelles de Ravenstein. Il n’y a rien eu. Les révolutionnaires n’ont pas ajouté quoi que ce soit. Ils se sont contentés d’attendre silencieusement leur prochaine vengeance encore plus abjecte.
― Allons, allons, chers Cupidons ! Mon étoile chérie est prête à vous recevoir ! N’est-ce pas génial ? s’excite Zhai avec de grands gestes théâtraux.
― Attendez, Maître Zhai ! Atlas ne veut voir que la pâtissière, pas le couturier ! remarque le serviteur en arrangeant sa mèche dorée.
― Ah !
― Pardon ? crache Marcus.
― Quoi ? demande Billie.
Face à cette annonce des plus rocambolesques, un silence plane. Marcus est scandalisé, Billie est troublée tandis que le serviteur Vayne est terriblement gêné. Il n’y a que le vieillard qui se fiche totalement du favoritisme dont fait usage le prince des lieux. Beaucoup de gens disent qu’Atlas est un être ignoble et hautain alors que dans le fond, ce n’est qu’un malpoli incapable d’exprimer ses sentiments de la bonne manière.
― Qu’est-ce qu’on attend ? Billie, viens ! sourit-il comme si de rien n’était.
― Euh… d’accord.
Le milliardaire attrape sa main afin qu’ils s’orientent, ensemble, hors du jardin de Venus. Zhai ne jette même pas un seul coup d’œil à Marcus : et il aurait dû. Peut-être qu’en voyant ce visage tiré par la rage et la colère, Zhai aurait compris que Marcus est quelqu’un de dangereux. L’algorithme choisissant les Cupidons est performant certes, mais il ne prend pas en compte la santé mentale des gens. Marcus a toutes ses chances de gagner ce concours, cependant il a également toutes ses chances de commettre un meurtre irréparable.
― Dîtes-moi, quel est votre plan d’action ? demande Zhai en s’adressant à la blonde en panique.
Billie s’est préparée toute la semaine à cette question, pourtant elle est complètement muette. Le fait qu’elle soit seule avec le plus riche de Ravenstein ne fait qu’augmenter son stress – elle est terrifiée à l’idée de dire quelque chose qu’il ne faut pas. En même temps, ça se comprend. Billie dit souvent des trucs bizarres dans des situations angoissantes. Elle ne sait pas gérer son sang froid alors elle dit n’importe quoi : tiens, voici un exemple.
Une fois, son crush lui avait avoué son amour pour elle avec un bouquet de vingt roses magnifique et une grosse boîte de chocolat. Elle a paniqué et elle a dit qu’elle était lesbienne, puis elle s’est enfuie. Depuis, sa meilleure amie n’a jamais arrêté de la narguer à ce sujet.
― Eh bien… Mon plan d’action sera de trouver l’âme sœur de votre fils, euh, petit-fils. Je vais organiser des rendez-vous avec des prétendantes venant de plusieurs villes différentes et mettre en place quelques mises en scène pour forcer le destin. Vous avez dit qu’on avait carte blanche et qu’on avait un budget illimité, donc l’idée, ça serait qu’après un tri entre chaque fille, Atlas voyage et se retrouve par exemple perdu dans la forêt ou coincé dans une chambre froide avec une prétendante. Il ne sera pas du tout en danger ! Ne vous inquiétez pas. Chaque endroit sera très sécurisé. Tout ça sert à tisser des liens, et étant donné que votre petit-fils n’est pas toujours démonstratif, les mises en scène sont généralement un bon moyen pour qu’il soit à l’aise.
― Et elles seront combien ?
― Euh, sept… Il y aura sept prétendantes.
― Prenez-en plus.
― Mais, elles seront choisies de façon très sélective avec plein de critères. Je pense que c’est largement suffisant, rétorque Billie en passant une main dans ses cheveux.
― Atlas est adorable – vraiment, il est ultra chou. Mais, bizarrement, quand on parle de prétendantes ou de ce concours, il est abominable. Un vrai connard. Vous allez voir : il va éliminer la moitié de vos prétendantes au bout du premier rendez-vous. Donc, il faut qu’elles soient très fortes mentalement et qu’elles ne se laissent pas faire. D’accord ?
― D’accord. Je comprends… Vous voulez combien de prétendantes, dans ce cas ?
― Hmm… Vingt. Ça me paraît bien, déclare-t-il alors que la chambre d’Atlas est à quelques mètres.
Billie acquiesce tandis que Zhai se languit intérieurement du plan d’action de la jeune blonde. Les consignes pour les Cupidons n’avaient pas été claires certes, mais Billie a très bien su répondre aux attentes du vieillard qui ne veut pas d’un simple rire – ça n’aurait pas d’intérêt.
En fait, il veut trouver un remplaçant. Il sait que si demain, sa vie prend fin, Atlas sera seul et ce n’est pas ce qu’il veut.
Le plan de Billie paraît donc parfait – seulement à quelques détails près. Elle n’avait pas prévu qu’une des prétendantes serait un véritable démon doté d’un visage d’ange.