CHAPITRE 29
Je t’… !
Putain. Pourquoi est-ce que je n’arrive pas à prononcer ces trois mots ? Ce n’est pas compliqué, tout de même. Il est clair que je ressens des foutus sentiments pour la chieuse, alors dans ce cas, pourquoi je suis incapable de dire ça à haute voix ? Parce que là, franchement, je suis paumé. Bordel. Ça m’énerve ! Je balance mon oreiller à l’autre bout de la pièce, et décide d’aller prendre un encas. Peut-être qu’avec des nutriments sucrés, je parviendrais à oublier ce sentiment désagréable.
Aussitôt, je descends les escaliers, et m’oriente en direction de la cuisine pour m’attaquer aux placards intégralement remplis de gourmandise. Presque directement, je m’accapare d’une boite de cookies, sous le regard contrarié de la lieutenante Hopkins. Qu’est-ce qu’elle a, encore ?
Dès qu’elle me fixe comme ça, c’est-à-dire, avec une certaine forme de réticence : ça veut automatiquement dire qu’elle souhaite entreprendre une conversation avec moi. Cependant, c’est mon rôle de prendre la parole, pas elle. Ne me demandez pas pourquoi, je ne suis pas dans sa tête !
— Quoi ? lui lancé-je en m’asseyant sur une chaise, face à elle. Tu veux un cookie ?
Elle hoche négativement de la tête. Ça ne présage rien de bon ! Lorsqu’Elena se lève pour fermer correctement la porte, et vérifier que personne n’est là, une tonne de questions se bousculent dans mon esprit. Avec cette femme, je peux m’attendre à tout. En d’autres termes, elle est imprévisible. Il m’est impossible de deviner ses intentions, et c’est pour ça que je commence sérieusement à être craintif vis-à-vis de son éventuel discours moralisateur.
— Est-ce que tu pourrais m’accorder une faveur ? me propose-t-elle en gardant une tonalité extrêmement basse.
— Ça dépend si ça m’arrange, répondis-je en bouffant mon biscuit parsemé d’une multitude de pépites au chocolat.
— Bien, commence-t-elle en se mettant devant moi. (Son assurance habituelle s’est totalement dissipée. Elena semble réellement préoccupée par quelque chose – si bien que cela m’effraie. Je le sens mal. ) Écoute. Je commets certainement une grave erreur, mais… serait-il possible que tu accompagnes Pearl à cette fête ?
Forcément, suite à cette annonce, je m’étouffe avec mon cookie. Par chance, je n’étais pas en train de boire du lait ! Sinon, à l’heure qu’il est, Elena serait complètement trempée. Enfin, peu importe. Je tape vigoureusement contre mon torse, au-dessus de mes pectoraux, et tente de retrouver mon calme.
BON ! Si votre mémoire n’est pas défaillante, vous devez sûrement vous rappeler du moment où Pearl était chagrinée de ne pas pouvoir se rendre à une fête avec ses potes, non ?
Eh bien, le jour j est arrivé ! Et étant donné qu’après le kidnapping, la relation mère et fille est devenue assez tendue, Elena a finit par accepter la réclamation de Mini-Hopkins.
— Tout ce que je te demande, c’est de t’assurer que Pearl ne consomme pas d’alcool. Alors, je t’interdis de passer ton temps à draguer des filles ! me réprimande-t-elle en me lançant un regard désapprobateur.
Autant que l’on soit formel là-dessus : ce n’est pas moi qui drague les meufs, mais plutôt l’inverse ! Nuance. La plupart du temps, elles viennent directement à mon égard. Et ce, sans que je ne fasse quoi que ce soit.
Autrement dit, je suis un aimant à fille ! Et malgré les idées reçues, cette fonction peut apporter des avantages comme des désavantages. Être irrésistible : ce n’est pas de tout repos !
— Attends, deux secondes. Si je comprends bien, tu veux que je débarque à une soirée d’adolescents en chaleur pour surveiller Pearl, même si ça s’peut que je sois en danger si mon identité est révélée à tous et que mon assassin me dégomme sur place ?
Elle grince des dents, visiblement agacée par la tournure de la situation. Cette dernière croise ses bras contre sa poitrine, entreprend une pression sur l’îlot central, et laisse résonner un long soupir avant de dire :
— Dans ce point de vue, mon idée paraît vraiment absurde.
— Ouais, lâché-je en me ralliant à ses propos. Et puis, qu’est-ce qui te fait croire que je vais la protéger de toutes ces boissons alcoolisées, au lieu de m’amuser ? Faudrait que tu te mettes en tête que ça fait un moment que j’me suis pas barré de cette piaule.
De ses yeux bleutés, elle me foudroie intensément. Toutefois, son regard s’adoucit. Ce changement d’expression me laisse stupéfait. Je fronce les sourcils en signe d’incompréhension.
— Je l’aie vue, Devon… Cette peur dans tes yeux lorsqu’elle n’était pas là. Je l’ai vue. Tu peux te voiler la face autant que tu le souhaites, ça m’est égal. À présent, je sais que je peux compter sur toi en ce qui concerne la sécurité de ma perle, déclare-t-elle avant de reprendre. De plus, sache une chose, mon garçon, bien que parfois, il m’arrivait de te gifler et de hausser le ton, j’ai toujours cru en toi. Je sais qu’au fond, tu es quelqu’un de bien. Et que derrière cette facette de délinquant se cache un garçon perdu et torturé.
Mon visage neutre ne reflète pas mes véritables ressentis. Croyez-le ou non, ses mots me touchent. Considérablement. Je réprimande un sourire, et me contente de soutenir son regard. Comme l’a déjà dit Thalia : la lieutenante Hopkins est une femme charmante et attentionnée. Et c’était indubitablement mal de la juger sans la connaître.
— Il suffit d’une simple gorgée d’alcool pour que Pearl se réveille, avec aucuns souvenirs de la veille. Et elle en ait parfaitement consciente. Néanmoins, il se peut qu’elle succombe à la tentation. En état d’ivresse, Pearl a tendance à être bavarde, et à mettre son identité d’agent secret en danger. C’est pour ça que je veux que tu sois là pour empêcher le pire.
— Euuh, tu peux lui interdire de partir à cette fête, et basta. Plus de problème.
— Et pourrir ses rares moments d’adolescente normale ? Je ne pense pas que ça soit la bonne solution. Pearl dédie la majeure partie de sa vie à son travail, alors il faut qu’elle souffle de temps en temps… me dit-elle avant de continuer. Alors, tu acceptes ?
— Bah, ouais, carrément ! Tu me prends pour qui ? rié-je, et elle me sourit à son tour.
— Tant mieux, alors ! Va te préparer, et pour l’amour de bouddha, mets un haut. Nous sommes en hiver ! Tu vas attraper froid si ça continue, déclare-t-elle en s’orientant vers la porte. Pendant ce temps, je vais prévenir Pearl que tu vas l’accompagner !
J’opine, avant de rejoindre ma chambre pour enfiler des vêtements présentables. Vu que les murs sont fins, je parviens distinctement à reconnaître les plaintes de la chieuse qui dénoncent clairement la stupidité de la proposition de sa génitrice. Malheureusement pour elle, Elena joue la carte du chantage. Soit elle se soumet à son autorité, soit elle dit adieu à son moment privilégié avec ses amis.
Mains dans les poches, je détaille attentivement la tenue de Pearl se trouvant être plutôt… étonnante.
À vrai dire, je m’attendais à c’qu’elle porte des habits chic, mais non. Un jean noir, un pull blanc, et une paire de Converses. Rien de plus ordinaire. Mais malgré tout, elle parvient toujours à dégager un charme authentique injustement déconcertant.
Je surprends mon cœur à battre d’une manière irrégulière. C’est vraiment perturbant comme sensation.
— On y va ?
Elle sursaute au son de voix. Instinctivement, Pearl se tourne vers moi et n’hésite pas à converger ses prunelles dans les miennes.
Suis-je le seul à être déstabilisé par cet échange visuel ?
Je présume que non, car Pearl se détache subitement de ce face à face. Elle ne répond pas, et se dépêche de sortir de la demeure, en ignorant les mots d’Elena – celle-ci nous souhaite une agréable soirée.
Lorsque je me tiens à l’extérieur de la baraque, je découvre qu’un type se dirige vers Mini-Hopkins. Il est moche, bien entendu. Équipé d’un bouquet de roses, il le tend aimablement à la brunette. Tellement niais. C’est écœurant. Pearl ne tarde pas à embrasser sa joue provoquant la pâleur de mes jointures.
Et à mon plus grand étonnement, un sourire malicieux se dessine sur ses lèvres quand elle me jette un coup d’œil. Oh, la connasse ! Elle me cherche. Non, mais j’hallucine ! Pff. Elle croit que je vais piquer une crise jalousie pour ça ? La bonne blague ! Je m’en contrefiche. Genre, totalement.
Par ailleurs, vous m’aviez cru lorsque je vous ai dit que j’avais des sentiments pour elle ? ERREUR DE DÉBUTANT. Je n’aime pas cette fille, notez-le quelque part – sur un carnet de notes, ou sur votre chien, j’en ai rien à foutre, tant que vous ne l’oubliez pas, ça me va !
— Tu dois être Victor, pas vrai ?
La voix masculine du laideron parvient jusqu’à mes oreilles. Dites-moi… depuis quand j’l’ai autorisé à m’adresser la parole ? À ma connaissance, jamais. Je ne perds pas mon temps avec des gens comme lui. Rien qu’en voyant sa tenue, je peux définitivement en conclure qu’il est terriblement ennuyant. Sérieusement, ce gars a mis un pull jaune avec un horrible col roulé ! MAIS, C’EST IMMONDE, BORDEL DE MERDE ! Comment Pearl peut rester à ses côtés, bon sang ? Le simple fait de respirer le même air que cette chose me répugne.
Alors que tête de cul se dirige à mon égard, je commence à l’observer en accentuant le mépris que je ressens afin qu’il se rende compte qu’il est préférable de ne pas m’approcher. Et manifestement, mon message a été correctement transmis puisqu’il s’arrête net.
— C’est Devon, sale fils de pute.
Mon ton a été si glacial que j’ai l’impression que la température de l’atmosphère vient de baisser d’une dizaine de degrés Celsius. À l’entente de ma remarque, Pearl ne tarde pas à riposter pour défendre son petit-ami.
— Putain, mais arrête ! Tyson veut juste être poli.
Minute cornichon. Mais, je me souviens de cet enfoiré ! C’est le propriétaire de Rators. Vous vous en souvenez ? À cause de lui, son rat mutant se balade dans toute la maison des Hopkins. De plus, à de nombreuses reprises, il a même effrayé mon pauvre Pacco !
Déjà que je n’aimais pas ce type, là, c’est pire.
— Ta gueule, Pearl… craché-je en roulant des yeux.
Aussitôt, elle réplique en se ruant vers moi pour me gifler. Outch. J’en viens à conclure qu’elle n’a pas vraiment apprécié mon commentaire inapproprié… Honnêtement, je ne regrette même pas d’avoir ouvert ma bouche. Nous sommes dans une démocratie. LA LIBERTÉ D’EXPRESSION EST OFFERTE À TOUS, MERDE !
— Va te faire foutre, Maxwell.
Elle souffle légèrement, tourne les talons et rejoins le fameux Tyson – d’ailleurs, celui-ci est perdu suite aux événements précédents.
Lorsque ces deux-là ne se trouvent plus dans ma ligne de mire, ma main effleure ma joue étant probablement écarlate. Décidément, je ne m’en remettrais jamais de ses coups. Bordel. Cette fille détient une taille similaire à un cure-dent, et pourtant, elle a autant de force qu’un gars baraqué de cent-dix kilos ! C’est à l’encontre des règles de la nature, franchement. Je soupire bruyamment, et marmonne doucement quelques jurons. Bref, il faut que je me mette en route pour aller à cette soirée à la con. Bien que je sois un grand fêtard, ce genre de festivité entre étudiants coincé n’est pas vraiment ma tasse de thé… Cependant, génie comme je suis, une idée sensationnelle m’a frappé en plein fouet.
C’est avec un sourire malicieux que je m’oriente vers ma bécane en direction d’une baraque à quelques mètres de l’ancien bahut de Pearl.
Dans le but d’éviter de me perdre, je me contente de suivre la vieille épave de voiture appartenant à Mini-Hopkins. Quand on arrive à destination, je me gare, et examine attentivement les alentours. Comme je le pensais, cette fête nulle à chier est constituée d’adolescents surchargés d’hormones. Par contre, le bon côté des choses, c’est que la maison est plutôt spacieuse. Parfait.
J’entre à l’intérieur, les mains dans les poches, et presque directement, toute l’attention est posée sur ma personne. Face à moi se tient un regroupement de personnes refoulé par les gens charismatiques. Génial, de mieux en mieux. Je sens une pression sur mon bras : quelqu’un vient de me pousser. Mais, what ? Je me tourne, et sans étonnement, je découvre que c’est Pearl. C’est officiel, elle me provoque.
— Salut tout le monde ! annonce-t-elle en souriant de toutes ses dents.
— Pearl ! Ça fait tellement longtemps que l’on ne s’est pas vue, déclare une rousse en se précipitant vers la brune.
Elles se prennent dans les bras pendant que je m’assois nonchalamment sur le divan, avec mon portable dans les mains.
Hum… Ils ne vont pas tarder à arriver. J’ajuste quelques paramètres jusqu’à ce qu’un raclement de gorge vienne m’interrompre. À contrecœur, je lève la tête en remarquant que tous les regards sont braqués sur moi – encore une fois. Qu’est-ce qu’ils veulent, au juste ?
— Lui, c’est… Devon. Mon cousin germain, dit Pearl en me désignant du doigt afin de me présenter à tous ses potes. Tu pourrais faire connaissance avec eux, non ?
Elle n’est pas sérieuse là ? Je décide de rester silencieux face à ça. De la manière suivante, Pearl vient de se prendre un mémorable vent, une tornade, une tempête. C’est également le cas de ses amis. Ils tentent de me souhaiter la bienvenue. Néanmoins, je les ignore en faisant mine d’être préoccupé par l’écran de mon cellulaire.
Le son de la musique augmente progressivement, ainsi que les bavardages. Au cours des trente premières minutes, j’ai déjà donné six râteaux. Vous vous rendez compte ? Elles pensaient naïvement, ne serait-ce qu’un millième de seconde, pouvoir coucher avec moi ! Ahah. Très drôle.
Des ploucs comme eux… Nan, merci !
| Chace, le branleur – 21:23 | Ça y est. On arrive ! Prépare-toi.
PUTAIN, ENFIN ! Je me lève du canapé, sous les regards confus de plusieurs meufs.
— Où elle est ? demandé-je en m’adressant à une petite binoclarde – d’ailleurs, ça fait un moment qu’elle est littéralement contemplation sur moi.
— Tu… Tu parles de ta cousine ?
— Ouais.
— Oh, euh. Elle est partie dans la cuisine, sûrement pour boire un verre avec Chrissy.
Depuis quand la naine est ici ? ATTENDEZ. Merde, je suis censé faire en sorte que Pearl ne boit pas ! Fais chier. Je cours hors de la pièce en cherchant la cuisine. Mais, étant donné que je ne connais pas cet endroit, c’est assez compliqué.
Ils ont combien de placards à balais, wesh ? Normalement, un seul, ça suffit, mais naan… Ils ont décidé de m’énerver en construisant des tonnes de portes inutiles. Saleté de famille dont le nom m’est inconnu !
Soudain, un boucan phénoménal parvient jusqu’à mon ouïe. Ça ne peut être qu’eux…
Vous vous demandez certainement qui c’est, pas vrai ?
Eh bien, voilà. Je vais vous le dire. Ce sont mes meilleurs potes, et des tas de gens que je ne connais pas. Pourquoi ai-je fait ça ? Tout simplement pour foutre le bordel. Elena ne m’a jamais interdit de le faire ! Elle m’a seulement dit d’éloigner l’alcool de sa précieuse fille. Oh, en y repensant, faut que je retrouve Pearl pour éviter de trahir sa mère pour m’avoir fait confiance !
Et là, malgré la musique assourdissante et les cris, je parviens à distinguer les éclats de voix de la chieuse. J’ouvre la porte, franchit un pas, et découvre que la brunette est en train de se servir un verre dans le punch. AHH ! À toute vitesse, je m’approche vers elle et saisit son gobelet rouge. Mes lèvres se posent sur le plastique, ma tête s’incline brièvement en arrière et un liquide alcoolisé hydrate âprement ma gorge sèche.
— Prends-toi un autre verre ! grommelle Pearl tandis que je balance le gobelet à l’autre bout de la pièce.
— Tu ne dois pas boire, j’te signale !
— Laisse-moi tranquille ! Qu’est-ce que ça te faire si je le fais, hein ? vocifère-t-elle en rogne. Ce sont mes problèmes, et j’en assume toutes les conséquences !
— Tu vas assumer rien du tout, ouais ! Ta mère m’a chargé de te surveiller, alors arrête de faire la gamine, et comporte-toi comme une adulte mature.
— Et c’est toi qui dis ça ? Laisse-moi rire. En termes de maturité, tu ne m’arrives même pas à la cheville.
— Qu’est-c’t’en sais ?
— C’est évident, crétin ! Tu passes ton temps à agir comme le premier des connards, à te voiler la face, et à t’autodéfier pour des trucs minables ! Alors–
— Euh… Désolée de vous déranger, mais Pearl… Il faut que tu saches que ton ami Tyson est entré dans un conflit avec deux gars. Et je crois qu’ils s’appellent Calvin et Keegan, mais je ne suis pas sûre, interrompt une rousse avec hésitation.
Oh, dis donc, qu’est-ce qu’ils foutent ici ces deux bâtards ? Manifestement, je ne suis pas le seul à être surpris. Chrissy et Pearl sont carrément perplexes.
— Deux petites secondes, fit Mini-Hopkins en s’adressant à son amie.
Elle s’oriente dangereusement vers le punch, et je n’eus le temps de réagir, qu’elle porte déjà ses lèvres contre l’extrémité du bol en verre. Pearl boit tout le cocktail d’une seule traite, provoquant une multitude de jurons de ma part. MAIS, ELLE EST COMPLÈTEMENT MALADE ! Quand elle pose le récipient sur la table, d’un revers de la main, elle essuie sa bouche avant de dire à la rouquine, avec un air triomphant :
— Maintenant, c’est bon. Allons-y !