CHAPITRE 24
« WE WISH YOU A MERRY CHRISTMAS, WE WISH YOU A MERR– »
Et là, c’est plus fort que moi : mon poing s’écrase sur cette satanée boite à musique afin d’être en mesure de cesser cette foutue chanson qui se répète continuellement dans ma tête. Je n’en peux clairement plus. Ma patience a des limites à ne pas franchir, sous peine d’être écrabouillée comme ce machin-bidule chouette typique de Noël.
Je présume qu’il est futile de préciser que je déteste cette fête religieuse, non ? Toutes ces guirlandes bouffeuses d’électricité, tous ces sapins moches et inutiles, tous ces cadeaux merdiques et toute cette bonne humeur : ça me donne la nausée. Je n’aime pas ça. Et puis, le simple fait que l’on soit le 25 décembre me met automatiquement en rogne. Pourquoi ? Parce que.
— DEVON ! grommelle Elena à la vue de l’émetteur de musique étant dans un piteux état. Tu ne pouvais pas t’abstenir ? C’était le cadeau de tante Agnès !
— M’en fous, lâché-je. Comment ça s’fait que vous fêtez ce truc à la con alors que vous êtes des bouddhistes ?
Elle soupire bruyamment, éteint la télévision, et commence à dire :
— Toi, alors… grogne-t-elle en me fusillant du regard. (De toute évidence, elle est agacée par mon manque de tact habituel) Nous organisons Noël seulement pour retisser nos liens avec notre famille éloignée que l’on ne voit que très rarement à cause de la distance. Alors, ne t’avise surtout pas de te plaindre !
Suite à l’entente de ses propos, je roule délibérément les yeux, avec la volonté d’attiser davantage sa colère. Bien que je sache pertinemment qu’Elena tient réellement à cette fête de pacotille, je ne peux pas m’empêcher de m’en moquer. Depuis gosse, je n’ai jamais été un grand adepte des soirées entre familles. Contrairement aux autres, je ne ressens pas cette petite étincelle de bonheur lorsque je me trouve auprès de mes proches. Et que ce soit avant ou après la mort de mes parents. Je n’ai jamais éprouvé le besoin de montrer mon affection pour une personne à travers un cadeau pourri.
— C’est nul à chier, craché-je en me levant du canapé.
— Pour une fois que je suis d’accord avec ce crétin, lance Pearl en débarquant dans le salon.
Un sourire satisfait se dessine sur mes lèvres, tandis que je m’avance vers elle pour prendre possession de Pacco – cette bestiole se tient au creux de ses mains.
Mais, avant que je puisse m’accaparer de l’écureuil, Mini-Hopkins dévie ses bras afin que je ne sois pas en mesure de porter Pacco. Je grogne doucement lorsqu’un sourire de victoire honore son visage.
Elena se redresse sur le canapé, soupire une énième fois, et s’oriente vers nous.
— Je me fiche royalement de votre avis ! Ils viendront que vous ça vous plaise ou non. Point final, nous réprimande la lieutenante Hopkins avec une grande conviction. Bon ! Mettez votre mioche dans une cage, et nettoyez la salle à manger. Et que ça saute !
— Je le ferai à condition que je ne me fasse pas passer pour un gars qui s’appelle Victor ! riposté-je en croisant les bras contre mon torse.
Vous êtes confus, non ? Laissez-moi vous éclairer. Alors, en fait, comme vous le savez déjà : personne ne doit savoir que je vis dans cette baraque. Du coup, bah, les invités de Hopkins ne font pas office d’exceptions. Et donc, je suis contraint de me dissimuler sous l’identité de Victor Malfoy – par ailleurs, quel nom de merde ! De plus, ceci est inutile, car je doute que des Australiens puissent connaître mon véritable nom. Mais, selon Elena : « on n’est jamais trop prudent. » Pff. Conneries.
— Comment veux-tu t’appeler, dans ce cas ? me demande-t-elle.
Presque immédiatement, je réponds :
— LAMBADA DE BANANA !
— Oh que non ! Ça restera Victor, me dit-elle simplement. Aller, ouste ! Hors de ma vue ! Je veux que ça brille.
À ces mots, elle s’en va. Je décide de ne pas lancer un débat pour l’obtention de mon nouveau nom, et pars en direction de la salle à manger. Pearl me rejoint quelques instants plus tard, après avoir déposé Pacco dans sa cage. Un épais silence règne dans la pièce.
Je saisis un chiffon, suivit d’un produit ménager et m’attaque à cette foutue table en bois. D’habitude, je ne fais pas ce genre de chose.
Du coup, imaginez-vous mon taux de mécontentement à l’heure actuelle ! Durant mon nettoyage, mon bras entre en collision avec un meuble. De ce fait, un vase s’apprête à tomber. Mais, Pearl arrive à temps pour éviter le désastre. D’un mouvement rapide et inattendu, elle attrape l’élément en porcelaine avant de le remettre en place comme si de rien n’était.
— Pas mal les réflexes d’agent secret, dis-je d’un air amusé.
Ma remarque provoque une multitude de jurons. J’en connais une qui n’est pas de bonne humeur ! Depuis que je sais son secret, celle-ci passe son temps à me mépriser. Elle tente de limiter au mieux nos échanges vocaux. C’est débile, vous ne trouvez pas ?
Elle ne me répond pas, et s’abstient de toutes paroles. Ceci a le don de m’énerver. Mais, genre, vraiment. Ça me fait chier qu’elle fasse ça ! Certes, je n’aurais pas dû fouiner dans ses affaires. Mais, je persiste à dire que ce n’est pas de ma faute : c’est plutôt la sienne. Il fallait qu’elle soit plus discrète, c’est tout.
— Tu comptes me faire la tête encore longtemps ? la questionné-je en jetant mon chiffon.
Aucune réponse. Contrarié, je m’assois sur une chaise, alors que Pearl s’occupe de la décoration. Quand elle est suffisamment près de moi, je saisis son poignet. Aussitôt, elle me repousse et se remet au travail.
— Fous-moi la paix, Devon, dit-elle froidement.
— Pourquoi t’es comme ça, hein ? j’interroge en la fixant longuement. Un jour ou l’autre, j’aurai su que tu étais une agente secrète, alors pas la peine d’être aussi chiante.
— Ce n’est pas à cause de ça que je suis de mauvaise humeur. Ma vie ne tourne pas autour de toi, déclare-t-elle. Je peux être énervée par des trucs autres que toi, tu le sais ça ?
— Oh, je sais ! Tu m’en veux pour le bisou, non ? rétorqué-je comme si cela était une évidence.
Elle souffle profondément, sûrement pour se contrôler de dire des mots pouvant potentiellement altérer la sensibilité des âmes innocentes. Je ricane malicieusement tandis qu’elle me lance un regard signifiant parfaitement la phrase : « je vais te buter, espèce d’enfoiré. » Pearl n’apprécie pas du tout que je me permette de l’embrasser comme bon me semble, alors ma réplique précédente doit certainement lui rester en travers de la gorge. Sa crispation face à ce sujet tabou m’amuse plus que je ne le devrais.
Je souris paisiblement, tandis qu’elle est probablement en train de s’imaginer les différentes façons de me tuer. Mes yeux sont rivés sur elle. Une chaleur étrange submerge énergiquement l’espace à proximité de mes poumons. C’est drôle comme sensation, dis donc.
✽✽✽
La bouffe anormalement comestible d’Elena est le seul point positif que j’ai trouvé de ce dîner. Une chance qu’elle ait fait des efforts pour ne pas nous donner ses plats ayant des effets laxatifs.
— Il est vrai que cet hiver est frileux, valide une vieille de quarante piges se prénommant Ed ou Edna – ça m’importe peu.
Autant vous dire que je m’ennuie à une allure phénoménale. C’est limite de la torture ! Pour me divertir un minimum, je sors mon portable en découvrant tous les appels et tous les messages de qui m’ont été envoyés par Kendall. Décidément, cette fille est désespérée. C’est flagrant à quel point elle tient à ma personne… Ahh, que c’est difficile d’être irrésistible dans la vie ! Je dois constamment repousser les gens, ou bien être au centre de l’attention d’une personne qui me regarde avec un air aguicheur.
— Excusez-moi. Il faut que je passe un coup de fil, admet Elena en se levant de table.
Pendant une fraction de seconde, les regards se braquent sur elle. Quand cette dernière quitte définitivement la pièce, l’attention se porte brutalement sur moi. Tous, à l’exception de Pearl, m’observent intensément. Bien que je sois de nature aisée et désinvolte, ceci me rend légèrement mal à l’aise. Je n’aime vraiment pas cette soudaine fixation sur moi ! C’est plutôt perturbant.
— Ne soyez pas timide voyons, Victor ! Vous n’avez pas parlé tout le long de ce repas, fit un homme en me regardant droit dans les yeux.
Je me retiens de pouffer de rire à l’entente de ses paroles complètement délurées ! Nan, sérieusement : depuis quand je suis timide, hein ? C’est la blague de l’année ! Je ne suis absolument pas comme ça. Certes, je me suis mis en retrait durant ce dîner, mais c’est juste parce que je ne souhaite pas discuter avec des ploucs comme eux. C’est vrai quoi ! Ils sont tous moches, hideux, repoussants, et j’en passe.
De l’autre côté de la table, je peux percevoir les ricanements étouffés de Pearl. Visiblement, elle doit être d’accord avec moi sur le fait que les mots de son oncle ont été d’une absurdité alarmante !
— Dites-moi… commence une vieille sortit de nulle part. Comment avez-vous rencontré Elena et Pearl ? continue-t-elle avec une immense curiosité.
— Bah en fait, un gars voulait me tu– répondis-je, mais Pearl me coupe immédiatement la parole.
— C’est notre voisin ! N’est-ce pas, Victor ? dit-elle avant d’insister sur la prononciation de mon pseudo-prénom merdique.
— Ouais, ouais.
Je roule des yeux, m’enfonce davantage sur ma chaise, et prie intérieurement pour que cette soirée se finisse. Déjà que je hais cette fête, il faut qu’en plus de ça : je me coltine les proches des Hopkins ! Mais, c’est quoi ce bordel ? À ma connaissance, je n’ai jamais signé pour subir ça.
J’aurais largement préféré passer ma nuit à enchaîner les combats de boxe et les verres d’alcool ! Putain, ouais. C’est tellement mieux que de rester sur cette chaise inconfortable à écouter des gens sans intérêt. Par ailleurs, ces derniers se permettent de me poser une tonne de questions stupides. Mais, qu’est-ce que je fous encore ici ?
Après tout, je suis libre de me barrer comme bon me semble ! Dès lors où cette pensée me traverse l’esprit, je me casse de cette putain de table sous les expressions confuses de tous. Je les ignore – à part, elle… et que l’on soit clair, vous et moi, évitez d’inventer tout un tas de scénarios improbables. Comme à mon habitude, je viens m’isoler dans ma chambre. Pourquoi ce rituel ? Je n’en sais rien. Peut-être parce que la solitude m’est réconfortante – ou du moins, c’est ce dont j’essaye de me faire croire. Lorsque je me trouve dans l’obscur couloir menant aux chambres, aux toilettes, et à la salle de bain : mes pas ne s’arrêtent pas vers ma porte. Une idée désastreuse me vient en tête. Je n’ai pas le temps d’y réfléchir que je me tiens dès à présent dans la chambre de Pearl.
Vous êtes perdus dans mon raisonnement infondé, pas vrai ? Navré, dans ce cas. J’agis toujours de manière irréfléchie, spontanée et irresponsable. J’en suis pleinement conscient. Mais, bon. C’est ma façon d’être, et ma façon d’exister dans cette société où nous sommes contraints de s’affirmer pour ne pas être lamentablement piétiné. Ça peut vous paraître faible d’esprit ce que je m’apprête à faire, mais honnêtement, j’en ai rien à foutre.
J’ai besoin de les voir :
Les photos de mes parents. Les photos de mon passé. Les photos de mon malheur.
Je sais pertinemment que ressasser cet événement me fera du mal… Mais, il faut que je lutte contre mes faiblesses. Je n’ai pas envie d’être vulnérable – plus jamais. D’un geste rapide, je soulève la planche et sors les maudites photographies que je redoute depuis tant d’années.
Sachez que je ne cherche pas à prendre du plaisir dans la douleur qui m’est due à cause de la perte de mes géniteurs, en d’autres termes, je ne suis pas masochisme. C’est juste que… aujourd’hui est un jour spécial, et je voulais revoir son visage. Rien qu’une dernière fois. Depuis le temps, j’avais oublié l’éclat de ses cheveux bruns ainsi que ses prunelles vertes éphémères à des émeraudes.
Du bout de mes doigts, je frôle l’image inanimée. Et chuchote ces quelques mots :
Joyeux anniversaire, maman.
Mon cœur se crispe. Tandis qu’un sombre gouffre de nostalgie se repend au plus profond de mon être. Je m’étais longtemps mis à l’idée que ma vie était synonyme de perfection, et que, j’étais une personne heureuse. Mais, en réalité, ce n’était pas vraiment le cas. Si mon existence était si irréprochable, je ne serais pas là, sur mes genoux, à me détruire par des tourments d’afflictions. Et je ne passerais pas mes nuits à déplorer une décadence irréversible, ou bien à me battre dans des affrontements illégaux pour effacer la réputation d’orphelin brisé et abandonné.
Je souffle profondément, et prononce une seconde fois un murmure :
Je suis désolé, maman.
Plus j’y pense et plus je me rends compte que ma mère doit certainement avoir honte de moi à l’heure qui l’est. Je n’ai jamais été le fils sage qu’elle a toujours voulu que je sois. À la place, je suis devenu un connard de boxeur – comme le dit si bien Pearl. Lorsque des éclats de rire me sortent de mon état d’accablement, je replace les photos sous la planche de parquet et quitte la chambre afin de rejoindre la mienne. Plongé dans la noirceur de la nuit, mes mouvements sont lents et vidés d’énergie. Je ne me sens pas bien. Mon corps reçoit un spasme, et je titube doucement vers mon lit. Mon équilibre s’appuie contre ma table de chevet. Je n’ai plus de force. Mon habituel dynamisme s’est complètement évaporé.
Sous l’assaut de consternation, je m’adosse contre le mur au côté de ma table de chevet. Mon corps glisse jusqu’à me retrouver accroupi. Recroquevillé sur moi-même, mes douleurs mentales se diffusent à une vitesse effrénée.
Je déteste quand je ne peux pas supporter ma solitude.
Mon nez me chatouille à cause des pleurs imminents. Mais, j’essaye de contenir cette envie dévoilant ma tristesse que je tente désespérément de cacher à travers ces trois simples mots : je vais bien. Ma respiration devient de plus en plus ample et constante. Et des larmes s’écoulent le long de mes joues. C’est toujours ainsi que se passe les 25 décembre, à mon plus grand regret.
Les heures, les minutes et les secondes s’enchaînent. Je parviens à ignorer la bonne humeur des Hopkins, et à me concentrer sur des questions existentielles.
Suis-je heureux ? Évidemment que non. Je ne le suis pas, et je ne le serais certainement jamais. Les mecs comme moi ne méritent pas d’être joyeux. Après tout, je suis quelqu’un de mauvais. Il faut que je subisse les conséquences de mes actes. C’est de cette manière que fonctionne la vie. Je suis destiné à un avenir médiocre. C’est une fatalité. Selon le point de vue de la société, je suis le méchant : celui qui doit souffrir pour avoir fait du mal aux gentils. C’est simplement la justice.
Pourquoi je souffre autant ? Car, tout est de ma faute. Si j’avais suivit les ordres de mes parents, peut-être qu’à l’heure d’aujourd’hui, je serais un bon garçon. Et je ne serais pas aussi décevant aux yeux de tous.
J’en ai assez de me lamenter sur mes pertes. Je veux aller de l’avant. Mais, c’est impossible. Je n’y arrive pas. Dès que j’essaye de les oublier, la culpabilité s’abat sur moi. Je n’ai pas envie que mes parents pensent que je les abandonne.
J’ai crié de tous mes poumons, prier de tout mon être, et pleurer de tout mon corps : et pourtant, cette souffrance ne s’est pas effacée. Ils me manquent, et je sais parfaitement qu’ils ne reviendront jamais. Cependant, j’ai toujours ce profond sentiment que tout ceci est un cauchemar, et que mes géniteurs sont sains et saufs. Pathétique, non ? Après toutes ces années, je ne suis même pas capable d’accepter la réalité. Je me détruis dans ma peine, orné d’une éternelle douleur.
Quand soudain, des coups viennent tambouriner contre ma porte. Tout ce que je veux c’est d’être isolé de tous, bordel de merde. Pourquoi faut-il qu’une personne soit constamment là pour gâcher mon seul et unique souhait ?
— Devon, tu es là ?
Pearl. Je pourrais reconnaître sa voix entre mille. Instinctivement, j’essuie mes larmes et lève les yeux vers la porte. Aucune réponse ne retentit de ma part. Lorsque je suis comme ça, j’ai tendance à être muet. C’est pour ça qu’après la mort de mes parents, j’ai cessé de parler pendant près de deux mois – avant d’essayer de mettre fin à mes jours.
— Devon, réponds-moi… S’il te plait, me dit-elle tandis que je suis surpris de découvrir que sa présence ne semble pas me déranger, mais plutôt le contraire, elle me réconforte. La planche a été mal mise, je sais que tu es entré dans ma chambre.
Je passe ma main dans mes cheveux, tout en restant silencieux.
— Hum… Je voulais que tu saches que ces photos proviennent de ton dossier, et que je n’aie pas fait de recherche pour les avoir. Et que, euh, je peux les brûler si tu le souhaites. Étant donné que tu as déjà fugué pendant quatre jours à cause de ces photos, j’ai supposé que tu n’aimais pas le fait que je les ai dans ma chambre… continue-t-elle.
Je pose ma tête contre le mur, soupire légèrement et ferme les paupières. Mes pensées sont totalement contradictoires. D’un côté, je veux qu’elle parte, mais d’un autre côté, j’ai envie qu’elle reste. Je ne sais même plus ce que je veux, désormais. Ça m’énerve.
— Tu pourrais au moins dire quelque chose, non ? Limite pour que je sois sûr que tu es là, et que je ne discute pas avec la porte, renchérit-elle.
En fin de compte, je décide de prendre la parole, suite à plusieurs instants de réflexion :
— Laisse-moi tranquille.
Un silence gênant s’installe. La tonalité de ma voix a été plus froide que je n’aurais cru. Pearl a sûrement été offensée par mes mots. Je me sens directement con. Pourquoi suis-je autant méprisant, putain ?
— Oh, j-je suis désolée de t’avoir dérangé… bredouille-t-elle en partant illico du pied de la porte.
Je passe avec frustration une main sur mon visage en m’insultant intérieurement. Je gémis de rage, et me lève pour taper brutalement sur ma table de chevet. J’en ai marre. De tout. Je mets une énième fois mes cheveux en bataille, et commence à faire les cent pas. Ça me fait tellement chier d’avoir été aussi dur avec Pearl, que je n’arrive plus à songer correctement. Certes, je n’ai pas été vulgaire, mais c’est juste l’intonation qui me déplaît. Croyez-le ou non, l’avis de Pearl à mon égard m’importe énormément.
D’un geste assuré, je sors de ma chambre, bien que j’ai probablement une sale tête. Mais, bon. Ce n’est pas grave. Alors que je déambule dans le couloir, une personne se poste devant moi, manifestement essoufflée d’avoir monté les escaliers : il s’agit d’Elena.
— Où est la trousse de soins ? s’empresse-t-elle de dire.
— Dans la salle de bain, pourquoi ? la questionné-je en remarquant qu’elle s’impatiente étrangement.
— Un homme est dans le salon ! Il est vraiment dans un mauvais état suite à un accident de voiture à quelques mètres d’ici, alors j’ai accepté de lui venir en aide. Il faut stopper l’hémorragie ! explique-t-elle avec une rapidité fulgurante. Appel Pearl. Maintenant ! Elle doit ramener les bandages qui se trouvent dans son armoire.
Dès qu’elle finit sa phrase, cette dernière se précipite de se diriger vers la salle de bain. Pendant ce temps, j’entre dans la chambre de Pearl pour mettre au courant Mini-Hopkins, en tâchant de ne pas entrer dans les détails. Et bien évidemment, telle mère telle fille : elle commence à paniquer.
Nan, mais franchement ! Ça n’a strictement aucun sens. Elles ont déjà été confrontées à des événements bien pires étant donné leurs métiers de ouf, alors leurs réactions sont vraiment exagérées. C’est juste un mec blessé, merde. Ce n’est pas un drame non-plu. Décidément, je ne comprendrais jamais les Hopkins ! Alors que je descends sereinement les escaliers en compagnie de Pearl, je remarque avec joie que les invités se sont barrés. Enfin une bonne nouvelle !
— Attends, affirme Pearl avec la volonté d’attirer mon attention.
— Quoi ?
— Je rêve, ou tu as pleuré ? m’interroge-t-elle en ouvrant grand les yeux pour m’observer avec stupéfaction.
— Tu rêves, craché-je en gardant les mains dans les poches et en continuant ma route vers le salon.
— Devon ! Qu’est-ce qu’il t’est arrivé ? s’exclame-t-elle avec une certaine forme d’inquiétude. Est-ce que ça va ?
— Je vais bien, dis-je doucement. Bon, arrête de me casser les couilles et dépêche-toi de descendre ces foutues marches d’escalier.
Elle grogne bruyamment, et s’avance à mes côtés. C’est alors qu’on se dirige dans la pièce principale du salon : là où se tiennent des éléments essentiels tels que la télévision, le canapé, et Pacco.
Je remarque qu’Elena est près d’un homme d’un certain âge ressemblant à clochard : sa tenue est minable, ses cheveux sont ébouriffés, ses traits du visage sont tirés par la fatigue et du sang demeure en abondance que ce soit sur sa face, ou ses vêtements.
Pearl agrippe brusquement à mon bras, et recule d’un pas. Je fronce les sourcils. Hein ? Son regard est rivé vers le clodo, et visiblement, elle ne semble pas réjouie face à sa présence. En fait, c’est plutôt l’opposé, elle est… effrayée. Ses yeux bleutés s’orientent vers moi, et c’est à cet instant que j’aperçois la terreur qu’elle ressent. J’ai l’impression que le sol se fendille sous mes pieds : là, maintenant.
— C’est un piège, déclare-t-elle faiblement.