1 | DREW
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Quand mes parents ont décidé de faire le tour du monde, mon frère m’avait promis qu’il viendrait m’accueillir à la gare.
Mais, personne n’est venu.
La gare de Ravenstein était bondée de monde, des familles entières attendaient leurs proches avec un large sourire et plein de chocolats, mais pas Douglas. Il n’était pas parmi eux.
J’ai essayé de l’appeler plusieurs fois, mais pas de réponse. Je n’avais donc pas d’autres choix que d’attendre devant sa maison avec les dents claquantes entre elles. La situation est devenue encore plus dramatique quand le ciel a grondé de colère en menaçant une pluie des plus mémorables.
Pourquoi Douglas ne répond pas ?
Je crois que c’est le pire jour de ma vie. Mes parents sont mes seuls repères. Ils étaient toujours là pour me rassurer et, maintenant qu’ils sont partis, je suis perdue. C’est la première fois que je voyage seule et les résultats ne sont pas très glorieux.
Mes cheveux sont ébouriffés, mes vêtements sont sales et mes yeux sont irrités. Il faut dire que j’ai beaucoup pleuré à UnderGlade. C’est là-bas que mon train s’est arrêté pour des problèmes techniques. La gare était remplie de voleurs et il a suffi cinq minutes pour qu’un homme débarque pour dérober ma cage dans laquelle se tenait Get, mon petit hamster russe. Cinq minutes de plus et je me retrouvais morte. Le chemin qui mène jusqu’à Ravenstein a été complété de plusieurs obstacles. Heureusement, Ravenstein est connue pour être un endroit propre et calme.
Quand mon frère s’est porté volontaire pour m’héberger dans cette ville, mes parents ont tout de suite été soulagés. Seulement, avec Douglas, rien n’est gratuit.
Notre accord est simple.
En échange d’une chambre, mon frère jumeau obtient mon silence absolu, c’est-à-dire que mes parents ne sauront jamais qu’il a trompé Katarina. Et, ils ne sauront également jamais que leur fils a été mis en garde à vue, qu’il a fumé de la marijuana, qu’il a cassé le vase préféré de maman et qu’il a accidentellement tué le chat de papa.
Il est désormais minuit.
Alors que je commence à perdre patience, un mal de tête se manifeste. Je m’assois par terre au même moment où des phares me brûlent la rétine. Rapidement, des éclats de voix me viennent jusqu’à mon oreille. Je me lève et me prends brusquement la boîte aux lettres dans la figure.
Génial, de mieux en mieux.
Quand les lumières des lampadaires éclairent le visage de mon frère, une part de soulagement et d’envie de meurtre me gagne. Avant que je puisse dire quoi que ce soit, cet abruti me devance :
― Vite, suis-moi. On est dans la merde !
Je fronce les sourcils, sous son regard affolé. Douglas ne m’oblige pas à parler : ça, c’est bizarre, très bizarre même. D’habitude, quand on se voit, il me réprimande toujours parce que je ne dis pas un mot. Son visage exprime de l’affolement. Et sachant que Douglas n’est pas du genre à être affolé, un soupçon d’anxiété s’engouffre dans mes entrailles. Lorsqu’on rentre dans la demeure, Douglas n’attend pas une seconde de plus pour rejoindre dans le dernier étage : le grenier.
La pièce que je découvre n’est pas tout à fait comme je l’imaginais. Elle est vraiment superbe. La chambre a un côté atypique grâce à la forme en pente du plafond. Les murs sont de véritables briques et le sol est principalement en bois. La décoration a été faite avec soins.
― Drew, écoute-moi ! Tu contempleras ta chambre plus tard ! Il faut d’abord que tu m’écoutes, AH ! gueule-t-il en me forçant à le regarder. Je croyais que tu venais demain !
— Quoi ?
La porte d’entrée s’est ouverte. Une personne vient de pénétrer dans la maison. Ou peut-être qu’ils sont deux. En tout cas, ils font un sacré boucan. Douglas s’empresse de fermer la porte de la chambre.
— Je n’ai pas eu le temps de prévenir mes trois colocataires. Ils ne savent pas que tu vas habiter avec nous, souffle-t-il alors que je le fixe avec des yeux écarquillés comme deux soucoupes volantes.
D’un côté, ceci était prévisible. Douglas ne prévient jamais les gens. Il attend toujours le dernier moment.
— Je vais régler ça. Pendant ce temps, change-toi ou fais quelque chose, tu pues !
Charmant.
Forcément, Douglas ne reste pas pour entendre ma réponse. Il s’en va comme une fusée en plein décollage. Depuis que l’on est petit, Douglas a toujours été comme ça, et il ne changera jamais. Je souffle donc d’énervement avant de changer de vêtements. Ma tignasse refuse de coopérer même à coups de brosse. J’ai besoin d’une douche. Cependant, cet endroit m’est encore inconnu. J’ignore où est la salle de bain.
Je me contente alors d’attendre Douglas, une fois de plus. Et, comme d’habitude, il met plus de temps que prévu. Je décide donc de sortir de la chambre pour comprendre ce qu’ils se disent. Et, ce fut une grave erreur de ma part. Je me retrouve nez à nez avec deux hommes.
— Dieu merci. Elle n’a pas la même tronche que son frère.
— Mais putain, ferme-la. Elle est muette, pas sourde ! vocifère le plus petit des deux avec un fort accent mexicain.
— Ta gueule, Ernest ! Je sais ça !
— EH, HAUSSE PAS LE TON !
— SINON, QUOI ?
— Je te défonce !
Les insultes partent en vrille et mon existence se rétrécit. Les propos deviennent durs, presque violents. Pourtant, d’une manière incompréhensible, ces deux-là se réconcilient et se tournent dans ma direction.
Mon rythme cardiaque s’affole soudainement. Le brun aux cheveux bouclés s’éclaircit la gorge pour prendre la parole, mais son ami le devance :
— Je suis Alaric, me dit-il avec son plus beau sourire. Je serais un de tes colocataires, donc si t’as un problème, n’hésite pas à venir dans ma chambre. Nos noms sont écrits sur nos portes !
Les traits de son visage sont très fins. Sa mâchoire est marquée comme les mannequins de grandes marques. Cette particularité le rend spécialement beau. Et, c’est sûrement pour cette raison qu’il se permet de séduire, sans aucune once de gêne.
— Et moi, c’est Ernest ! Ton frère t’a certainement parlé de moi.
Cet homme, en revanche, a une mâchoire beaucoup moins imposante. Il a de petites lèvres pâles et une expression naturellement blasée. En revanche, sa manière d’engager la conversation est très dynamique.
Lorsque je m’apprête à prendre mon cahier de notes, mon frère apparaît.
— Vous pouvez nous laisser ? demande Douglas à ses colocataires.
Cette phrase ressemble plus à un ordre qu’à autre chose. Ernest et Alaric ne s’opposent aucunement. Ils partent avec des airs enjoués tandis que mon frère paraît particulièrement soucieux. J’attends que les individus s’éloignent pour inciter Douglas à éclaircir mes pensées :
— Khaul est d’accord pour que tu restes, c’est réglé.
Bien que la nouvelle soit joyeuse, mon jumeau est plutôt étrange. Son visage est terne. Il me regarde un instant avant de reprendre la parole.
— Attends. Tu ne t’es toujours pas douchée ? Putain, mais tu pues là ! La salle de bain est en bas.
Je roule des yeux et pénètre dans ma chambre afin de lui claquer la porte au nez. Quoi qu’il arrive, Douglas ne s’excuse jamais. J’aurais aimé qu’il s’en veuille de m’avoir oublié, mais ça serait trop beau pour être vrai. Il ne pense jamais aux autres.
Un vacarme immense résonne dans le salon – c’est un mélange de cris, de rires et de musiques. Je n’y prends pas plus d’attention et m’oriente dans l’étage du dessous.
Réticence et hésitation rythment mes pas. J’avance doucement dans le couloir en remarquant que l’une des portes est ouverte.
Le temps d’un instant, mes yeux se sont focalisés sur cette chambre-là. La pièce est immense et vide d’émotions. Les couleurs sont fades et mélancoliques. Lorsque je recule d’un pas pour cesser cette analyse inadéquate, une personne heurte mon dos. Mon sang se glace quand la pénombre éclaire mon nouveau colocataire.
Fraîchement sortis de la douche, ses cheveux bruns, brièvement humides, se trouvent en longues mèches sur son front. Il a la mâchoire contractée et dure, des sourcils froncés et des lèvres fines. Il porte une tenue simple et décontractée contrastant avec son précédent costume.
— Je peux savoir ce que tu fais ?
J’ouvre la bouche. Mais, aucun son ne sort. Je suis inapte à dire quoi que ce soit. Et, apparemment, cela ne le ravit pas du tout.
— Alors ?
Je panique. Mon carnet de notes n’est pas à ma portée. Je suis contrainte de rester debout, silencieuse, avec mes vêtements à bout de bras. Par chance, le bruit d’une chasse d’eau retentit. Le Mexicain débarque alors en pulvérisant du désodorisant partout.
— Ne te fatigue pas. Elle est muette, signale-t-il.
Le grand brun est troublé, comme s’il savait quelque chose que personne ne soupçonnait.